“Fight for all the wrong reasonS”

Le toit, un lieu censé être interdit d'accès mais dont la porte est toujours ouverte. Bon nombre de personne ne se gène pas pour s'y rendre pour autant, dont moi. D'autant plus que le mot règlement ne fait pas parti de mon vocabulaire et ça depuis ma plus tendre enfance. Aujourd'hui, je ne suis pas censé travailler et pourtant je traine tout de même dans les couloirs de l'hôpital. Tout simplement parce que je n'avais rien de spécial à faire de ma journée et que je pris l’initiative de rendre une petite visite à un inconnu. Un patient plus précisément, un homme qui m'avais beaucoup touché durant une de mes interventions cette semaine et que j'ai sauvé de justesse dans l'ambulance... mais pour finalement vivre combien de temps ? S'il y a bien une chose que je regrette dans ce job, c'est le fait de ne pas passer autant de temps que je le voudrai avec les patients que je sauve. De plus, je ne peux même pas toujours savoir ce qu'ils adviennent une fois déposé à l'hôpital. S'ils survivent, ou meurent... Je serpente pensivement les couloirs du premier étage, sûrement un des étages le moins joyeux de tout l'hôpital étant celui des soins palliatifs. J'ai toujours eu beaucoup de mal à mettre les pieds ici, trop de mauvais souvenirs me reviennent en tête. Principalement celui où j'allais rendre visite à mon père avant qu'il ne meurt... Ce fut particulièrement marquant pour moi. Le cœur serré, je trouve la chambre où est mon patient de la veille. J'y rentre timidement et le vois allongé dans son lit, éveillé et surprit de me voir. Je déglutis avec difficulté. Il ressemble à mon père. Je m'approche de lui, il me sourit et se redresse un peu plus. Dans son regard, je peux lire qu'il est prêt à affronter la mort. Cela ne semble même pas l'effrayer. Nous passons une bonne heure à discuter. Nous nous sommes vu qu'une seule fois et pourtant... nous avons tant de choses à nous dire, je m'ouvre à lui et réciproquement. Le sentant épuisé, je décide ensuite de le laisser se reposer. Puis je sens sa main saisir la mienne. « Prends soin de toi Jeremiah... t'es un chic type. ». Je le regarde un instant, ressentant beaucoup de peine pour cet homme. Je sens les larmes me monter aux yeux mais je quitte la pièce l'estomac noué. Un peu d'air ne me ferai pas trop de mal. Je monte jusqu'au toit et prend mes aises sur le rebord. Je sors mon paquet de cigarette de ma poche et m'en allume une tout en fixant le paysage, ou du moins la magnifique vue que j'ai de la ville. Le soleil commence à se coucher. J'aime me trouver ici, seul, pour réfléchir. Après avoir terminé une première cigarette, je m'en allume une seconde. Une façon comme une autre de se détendre. Tellement de choses me trottes en tête en ce moment... entre les moments difficiles au boulot et ma vie sentimentale. J'entends la porte du toit s'ouvrir derrière moi, mais je ne me retourne pas pour autant.

Il faut savoir ou être prêt à se battre chaque jour, surtout dans cette profession. Et il y a des jours où justement on n’y arrive pas. Des jours où le blues prend possession de nous, des jours comme celui-ci par exemple. Je n'ai pas le moral, je ne saurai même trop dire pourquoi. Parfois j'ai besoin d'évacuer les choses difficiles que je vois au quotidien, accepter la mort de beaucoup de personne et accepter le fait que je ne puisse pas tous les sauver. Accepter aussi que la vie est injuste. Quand je me retrouve dans ce genre de situation, je préfère aller prendre l'air seul et prendre le temps d'évacuer plutôt que de tout refouler comme font la plupart des gens. Faire comme si de rien n'était, je n'y arrive pas. L'homme à qui j'ai rendu visite aujourd'hui fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Parfois j'ai l'impression que les gens bien sont ceux qui nous quittent le plus vite. Je sais que je ne dois pas m'attacher à mes patients, mais je suis humain que voulez-vous. Je n'ai pas non plus choisis ce métier pour être robotisé.

Fumer une bonne petite cigarette sur le toit, il n'y a rien de tel pour se vider l'esprit ou du moins en parti. J'admire pensivement la vue qui s'offre à moi, certes très urbaine mais ça peut avoir son charme. Les larmes me montent aux yeux, j'ai besoin de relâcher la pression. Je suis comme une cocotte minute, autant relâcher la pression tout seul afin d'éviter de m'en prendre à quelqu'un qui n'a rien demandé à personne. Tout doucement, je me calme et tente de penser à autre chose. J'entend ensuite la porte du toit s'ouvrir dans mon dos, mais ne me retourne pas pour autant. Jusqu'à entendre une voix féminine qui m'est plutôt familière. Je reste concentré sur ma cigarette jusqu'à la terminer et la jeter à mes pieds pour l'écraser. Après la voix familière, l'entente du mot "Dadaith" me fais légèrement tiquer. Je me retourne pour regarder la brunette qui se trouve bien être l'infirmière au quelle je pensais. Je l'ai déjà croisé à plusieurs reprises dans l'hôpital, mais nous n'avons pas encore eu l'occasion de passer plus de temps ensemble.

« Sorry ! Ce n'étais pas dans mon intention de te faire peur... »

Je laisse mon dos prendre légèrement appuie sur la rambarde derrière moi sans quitter la demoiselle des yeux. Ce n'est pas la première fois que je l'entend parler de cette façon, je serai prêt à mettre ma main à couper que nous venons du même coin. Au pire des cas, le ridicule ne tue pas n'est-ce pas ? Même si cela n'empêche qu'elle peut tout de même me prendre pour un cinglé, mais bon tant pis... Je lui souris doucement avant de reprendre la parole pour lui exprimer mes doutes :

« Tu ne serais pas écossaise par hasard ? Non pas que j'ai écouté ta conversation téléphonique mais... j'ai juste entendu quelques mots on va dire... et c'est pas tous les jours ici qu'on croise quelqu'un utilisant ce genre de jargon... »

Malgré le fait que je sois écossais, je ne connais pas non plus beaucoup de mots, mais disons quelques uns retenus de ci de là à l'arraché. J'observe furtivement l'infirmière et j'ai comme l'impression de la connaître, après ce n'est qu'une impression bien sûr.

Il est vrai qu'il y a quelques minutes encore, j'espérais rester seul sur le toit le plus longtemps possible mais si c'est pour être en compagnie de Florence je ne dirai pas non. De plus, nous n'avons pas encore eu l'occasion de faire plus ample connaissance même si notre entente est déjà très bonne. Mais avec son emploi du temps ainsi que le mien, ce n'est vraiment pas évident de trouver un peu de temps pour papoter. Ou alors, nous parlons surtout de nos patients ou de médecine, mais pas de nos vies. Pourtant, j'aimerai en savoir un peu plus sur elle, l'ayant déjà entendu parler à plusieurs reprises en Gaélique. Il y a donc de grandes chances qu'elle soit Écossaise ou qu'elle ait de la famille là-bas. Rien de bien précis mais sait-on jamais, le monde est si petit. Si ça se trouve, nous nous sommes déjà rencontré plus jeune ou avons fréquenté la même école par exemple. Je prend donc le risque de lui demander si elle l'est ou non. Elle me répond donc n'être qu'à moitié Écossaise et l'autre Anglaise. Il semblerait que je sois tout de même sur la bonne piste. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme un drôle de pressentiment quand je la regarde. Rien de méchant bien sûr, mais je suis persuadé de l'avoir déjà vue.

« En effet je suis un pur Écossais. Ça ne doit pas être très difficile à deviner, vu mon accent... tu n'es pas la seule à le remarquer. »

Je la dévisage à mon tour, furtivement. Plus je la regarde et plus j'ai l'impression qu'elle m'est familière. J'en mettrai ma main à couper.

« J'y ai vécu longtemps en Écosse, avec mon père. Je suis à Londres depuis peu on va dire... et toi ? Enfin si ce n'est pas indiscret bien sûr... »

Moui je suis plutôt du genre culotté je le sais et je l'assume plutôt bien. Disons que si nous ne prenons pas souvent de risques on n'avance pas beaucoup.