Mais c'est là que t'as dit, qu'la vie c'est pas du gâteau et qu'on fera pas de vieux os. On fera pas d'marmots pour leur gueuler tout haut : qu'la vie c'est pas du gâteau. Même si je gagne pas ma vie et même si j'ai le SIDA, moi ça m'coupe pas l'envie, moi j'me dis pourquoi pas j'voudrais mordre à pleine dents. Moi tu vois avant d'crever, j'voudrais laisser couler d'la morve d'un petit nez, un p'tit sourire, un p'tit bout d'éternité. Tu m'dis que tout ça c'est des fantasmes et j'ai du mal à t'contredire. Mais j'voudrais quand même laisser une trace, avant d'partir, avant d'mourir et même si la vie c'est pas du gâteau. ☨

Prochainement, la jeune femme allait pouvoir intégrer l’arène des combattants. Les urgences et devenir interne, devoir compter ses heures de sommeil sur les doigts d’une main et sentir peu à peu toute la force mentale dont elle faisait preuve s’effriter à travers les remarques des supérieurs. N’importe qui prendrait peur et fuirait le plus loin possible de ce futur extrême. Azae n’était pas un pleutre bien au contraire, elle avait hâte de se jeter dans la fosse aux lions pour se surmener complètement et aller jusqu’au bout de ses limites. En attendant, la jeune femme flemmardait et profitait de ses derniers jours de libertés salvatrices. Complètement plongée dans un roman d’un auteur du XVIIIe siècle, les liaisons dangereuses de Laclos. Azae se satisfait davantage dans la lecture qu’un film. Et ce, même si elle souhaitait toujours visionner l’adaptation au cinéma. Et bien souvent, elle ressentait une grande déception lorsqu’elle s’apercevait qu’il oubliait des détails importants où qu’ils allaient faire jusqu’à des erreurs dans les costumes. Mais malgré tout, la jeune femme s’acharnait à provoquer ces désillusions en regardant à chaque fois l’adaptation. La pluie tombait avec densité dans les rues londoniennes, frappant contre la vitre, mais malgré le bruit, Azae n’était pas perturbé, complètement envouté par les lignes fines qu’elle suivait de son regard havane. « Kumi ?! » La jeune fille redressa la tête, quittant à regret la dispute entre Merteuil & Valmont. « Oui ? » Mais il n’y avait plus personne à sa porte. Soupirant, la jeune femme glissa son marque-page et reposa délicatement son roman sur le rebord de sa fenêtre tout en quittant sa chambre à regret. Elle se pencha par-dessus l’escalier. « Quoi ? » Mais toujours aucune réponse. Un sourire aux lèvres, elle descendit les marches, consciente que son père ne répondait pas exprès dans le but de la faire descendre et venir jusqu’à lui. Il était dans la cuisine, assis devant une part de gâteau tandis que sa mère continuait de cuisiner. Ça sentait le chocolat et la jeune fille en ferma les paupières quelques secondes pour respirer l’arôme de cacao. « Nous t’avons inscrit à une association, un groupe de rassemblement des personnes atteintes du sida ou séropositive, comme toi. » Les sourcils d’Azae se froncèrent, mais très rapidement, son père enchaîna. « C’est dans l’unique but que tu entends d’autres personnes en discuter. Ta mère et moi ne pouvons t’apporter toutes les réponses, et ça fait quelques années que tu es en âge d’en savoir plus. Tu fais même des études pour ça, mais la théorie n’est rien face à la réalité. Et… » Azae étira un mince sourire, son père n’avait pas tort et elle ne le contredirait pas. « Je sais papa. Je sais… Merci de l’avoir fait… » Elle s’approcha de lui pour déposer un baiser sur son front dégarni, il lui donna un papier avec l’heure et l’adresse. « Et tu me dis ça seulement une heure avant ? Baka ! » Azae remonta en vitesse jusque dans sa chambre pour troquer son survêtement contre un jean, un pull et une veste de pluie. Une dizaine de minutes plus tard, elle traversait les rues de Londres, courant sous la pluie pour inonder sa chevelure sombre d’eau. Essoufflée, le visage et les cheveux trempés, Azae fit son entrée dans le bâtiment ou avait lieu la réunion. Elle laissa sa veste à l’entrée avant d’être guidée jusqu’à la salle. D’abord timide, Azae observa dans l’entrebâillement avant d’ouvrir celle-ci dans un grincement peu discret. La personne responsable de la réunion était un homme, qui se présenta sous le nom de « John, ravi de te rencontrer. Tes parents m’ont beaucoup parlé de toi. » Azae lui offrit un sourire timide avant de s’installer sur la chaise qu’il venait de montrer d’un geste ample de la main. Ses yeux sombres observèrent toutes les personnes présentes. Il n’y avait que douze chaises. John se leva, faisant taire tous les murmures. « Merci à tous d’être présent pour cette réunion. Nous avons trois nouveaux qui intègrent aujourd’hui notre groupe. Azae… » La jeune femme se leva, les joues en feux et après quelques mots de John, elle put se réinstaller. « Matt… » Un homme de la trentaine facile, habillé avec élégance. Azae avait hâte d’entendre son témoignage. Et enfin, John se tourna vers un jeune homme qu’il présenta sous le nom de Travis.

Monsieur O'Connor restez deux minutes s'il vous plaît j'ai à vous parler. Travis soupira doucement mais acquiesça et alla jusqu'au bureau de son professeur en traînant légèrement les pieds. Il avait rendez-vous avec Rob d'ici une heure et si l'homme ne se dépêchait il allait faire mettre l'étudiant en retard, enfin bref, de toute manière le garçon n'avait guère le choix. Le professeur lui expliqua donc que les autres avaient choisi parmi une liste, le prochain article qu'ils voulaient faire et comme O'Connor n'avait pas été présent ce jour-là, il avait eu un sujet d'office. Faire un papier sur le SIDA/VIH en parlant des différents moyens mis en œuvre pour mieux accepter la maladie. En entendant cela, l'étudiant pâli légèrement. Pourquoi est-ce que c'était tombé sur lui ?! Pourquoi lui rappeler que son frère était mort de cette merde ?! Quelque chose ne va pas ?! Travis regarda le professeur avant de secouer doucement la tête. Il pouvait le faire, dans un certain sens il devait le faire, et vu qu'il s'y connaissait plutôt bien sur le sujet, ça ne serait pas très dur, il voyait déjà pas mal de points à aborder, mais il lu fallait des témoignages... Parce que depuis la mort de son frère les choses avaient quand même sacrément évolué ! Je.. C'est juste que j'étais à l’hôpital ce matin-là... Et j'ai un certificat pour le prouver ! Malgré cette tentative pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas séché les cours volontairement et que ça serait plus juste qu'il puisse lui aussi choisir un sujet, le professeur se contenta de le congédier. Génial. Il ne manquait plus que ça. Sortant en grognant à faible voix, il prit son portable et composa le numéro de Rob mais tomba sur sa messagerie et décida de laisser un message. Hey salut toi ! Je risque d'arriver avec beaucoup de retard, donc … ne te sens pas obligé de m'attendre pour manger. On se retrouve chez toi, je pense être là à vingt-deux heures grand maxi ! J'ai un travail inattendu à faire et faut que je commence à m'y coller dés maintenant. Il raccrocha et se dépêcha à retourner dans sa chambre U, ou il fouilla parmi plusieurs cartons qu'il cachait sous son lit. Après un peu plus d'une heure, il en sortit victorieux un petit papier. Regardant l'heure, il composa le numéro de téléphone -qui correspondait à celle d'une "association d'aide pour les personnes ayant le VIH et leur famille".

Le lendemain, Travis avait réussi à intégrer un groupe, et c'est plutôt nerveux que le matin le garçon quitta les bras tout chaud de son Rob. Quelques heures plus tard, la séance n'allait pas tarder à commencer et le jeune homme était un peu anxieux, il se bouffait nerveusement les ongles en réfléchissant à ce qu'il allait bien pouvoir dire. Au bout d'un petit moment John se leva faisant train le petit brouhaha ambiant par la même occasion. L'homme expliqua qu'il y avait trois nouveaux, un commençant par une jeune femme qui devait approximativement avoir son âge, et un mec ayant une bonne dizaine d'années en plus, vint ensuite son tour. Le jeune homme se leva à son tour balbutiant un petit B'jour. C'est à peu près à ce moment-là qu'il se demandait réellement ce qui lui était passé par la tête la veille au soir. Il se retrouvait là alors qu'il était en pleine santé, pour parler certes de quelque chose qu'il connaissait très bien mais qu'il n'avait jamais réellement vécut. C'était injuste pour eux de venir comme ça et... c'était stupide d'avoir pensé à ça. Putain, il était vraiment trop con. Alors qu'il s'insultait intérieurement, il se rendit compte qu'il était peut être temps qu'il dise quelque chose. Et là sans réfléchir, il sortit Je m'appelle donc Travis, j'vais avoir 23ans bientôt. Et heu, si je suis présent, c'est... Il marqua une pause de quelques secondes avant de reprendre en essayant de dire la vérité de façon la diplomate possible c'est parce que je suis actuellement étudiant en journalisme et je chercherai des.. témoignages... et mon frère aîné venait ici il y a quelques années... et histoire qu'il n'y ait pas trop de questions là-dessus il rajouta rapidement et doucement avant qu'il ne meurt. Voilà. les joues plutôt rouge il se rassit sans plus un mot. Avec ce qu'il venait de dire, il lui revenait en tête ce fameux jour où Mike était mort, où il s'était fait lyncher par ses parents parce qu'ils auraient préféré que se soit leur aîné qui vive et non leur cadet, ce jour-là signifiait également sa rencontre avec Kayle. Essayant de se concentrer de nouveau sur ce qui se passait dans la salle, il regarda alors la jeune femme qui se prénommait Azae en se demandant quelle pouvait être son histoire.