Lorsque j'étais enfant, je trouvais que faire partie de la couronne brittanique était follement excitant. À l'école, les filles de ma classe m'enviaient, les garçons aussi d'ailleurs sans parler du corps professoral qui me respectait tellement jusqu'à en lécher mes chaussettes. D'un ridicule assumé par tous. Je n'étais pas la seule dans l'école à être issue de la couronne brittanique et donc à subir le même sort, ma grande soeur et mon petit frère l'était également, sans parler de tout mes cousins, surtout ceux d'un plus haut lignage que le mien. Même si l'école était la plus respectée de Londres, celle que tout les enfants de la couronne brittanique intégraient sans exception, les lords et ladies dans mon genre étaient toujours considérés comme la prunelle des yeux de chacun. Autrement, la reine savait y veiller et subir le courroux de la reine mère n'avait rien de très agréable. Mais malgré tout, j'adorais tout cela. Être la deuxième fille du duc et de la duchesse de Kent, habiter dans une giganstesque demeure à l'écart de la capitale, avoir une dizaines de serviteurs présents à chacun de mes besoins. Cela me rappelait les histoires et les contes que ma Nanny me lisait et je me figurais telle une princesse dans son énorme château attendant que son prince charmant vienne la libérer de sa tour pour l'emmener sur son cheval blanc et vivre heureux ensemble jusqu'à la fin des temps. Seulement, le problème avec les contes, même lorsqu'on est une Lady, c'est que la réalité n'est jamais vraiment à la hauteur de nos espérances.

Le printemps de l'année 1983 eut du mal à éclipser l'hiver froid qui s'étirait, mais alors que quelques fleurs montraient le bout de leurs pétales, ce fut le bout de mon nez qui sorti le premier le 5 avril à Londres même. Mon véritable nom de naissance est celui de Lady Camille Apolline Walter-Franklin, membre de la couronne brittanique, deuxième fille du duc et de la duchesse de Kent, petite cousine de notre très chère reine Elisabeth II etc., mais mon nom d'usage est simplement celui de Lady Camille Walter-Franklin, ce qui est déjà assez long, croyez-moi. J'ai vécu une enfance des plus heureuses, certes mes parents n'étaient pas très présents mais qu'importe, c'était les aléas de leurs titres. Mon premier véritable souvenir remonte à l'année 1990, je devais avoir à peine sept ans, et l'on devait se rendre Buckingham Palace pour une grande réception en l'honneur de la reine. L'intégralité de la couronne britannique serait présente. J'ai toujours été une enfant facile et joueuse, émerveillée d'un rien, mais là, cela dépassait l'entendement. L'immensité du château, la splendeur des décorations sans parler des robes de princesses que je voyais partout où je posais les yeux. Je pense que c'est à partir de ce moment que j'ai compris l'importance de mon titre et tout les enseignements que l'on nous apprenait : les révérences, le maintien, les danses, le langage... A partir de cet instant, je n'ai plus eu qu'une idée en tête, celle d'être une véritable Lady que l'on complimente comme j'en voyais tant dans la salle. On louait déjà ma beauté, mes longs cheveux roux aux reflets auburns, mes yeux clairs pétillants mais ce n'était déjà pas assez pour moi. Il me tardait tant de grandir, sans savoir que c'était beaucoup plus compliqué que je ne le pensais.

Beaucoup de personnes portent l'adolescence comme un fardeau, ce ne fut pas mon cas. En grandissant, j'étais devenue une jeune fille prétentieuse et complètement superficielle. Je pensais que tout tomberait à pied et que je n'aurai qu'à me pencher pour ramasser. Le pire, c'est que ce fut le cas en premier temps. J'étais la reine des abeilles, une tonne de copines qui me suivaient et exécutaient mes ordres d'un claquement de doigt, des garçons qui me courtisaient et que j'envoyais balader en souriant, des admirateurs secrets mais aussi beaucoup de personnes qui me détestaient ce que j'adorais par dessus-tout. Les jalousies, c'était vraiment ma grande fantaisie du moment. J'adorais qu'on me jalouse, cela me faisait sentir tellement importante. Quand je repense à ce temps là, je me trouve tellement pathétique et ridicule. Je n'avais rien compris à la vie. Pour mes quinze ans, mes parents organisèrent une somptueuse réception en mon honneur. Je devenais une jeune femme d'une beauté singulière qui rêvait sa vie au lieu de la vivre véritablement. C'est dans l'immense jardin de la propriété des Kent que je le rencontrais pour la première fois et en tombais presque instantanément sous son charme, sans savoir que c'était déjà un choix imposé par nos familles respectives. Lui le savait et ne pouvait pas rêver mieux parce qu'après tout, il n'était qu'Andrew Carlton, un simple comte d'Ulster. Je pense qu'à l'époque, j'étais davantage amoureuse du regard qu'il portait sur moi, la Lady Camille Apolline Walter-Franklin, et sur le piedestal dont il me glorifiait que prise d'un véritable coup de foudre pour lui. C'était donc tout naturellement qu'Andrew et moi sortions ensemble de temps à autres, en tout bien tout honneur aux yeux de nos parents.

Nous n'étions pas véritablement un couple. C'était surtout lors de soirées nobiliaires que j'apparaissais à son bras, que nous dansions la valse ensemble, mais je savais qu'il m'appartenait. Parfois, il m'emmenait au cinéma et là, il m'embrassait, mais je savais bien qu'il respectait trop mon rang pour s'engager davantage. Après tout, je venais seulement d'avoir quinze ans et lui en avait dix-sept. Il me considérait encore comme une gamine. Seulement, je ne supportais pas l'idée qu'il aille voir ailleurs pour combler les besoins de son âge et je fis rapidement en sorte pour supprimer les dangers potentiels. Enfin, supprimer. Disons que j'avais une bonne discussion avec elle, en leur signalant que j'étais tout de même la petite cousine de la reine et que je pouvais tout me permettre. Andrew avait raison, j'étais encore une gamine. Mais bizarrement, quand il finit par l'apprendre, il fut davantage ébloui par mon culot que véritablement fâché. À l'époque, j'avais encore un sacré caractère, mais mes parents, mon titre, et Andrew finirent par faire de moi une Lady docile comme je le suis aujourd'hui. Seulement, j'avais eu ce que je voulais, Andrew m'appartenait comme je lui appartenais. Était-ce vraiment de l'amour dès ce temps là ? Je n'en suis pas sûre. Seulement, à trop vouloir jouer avec le feu, j'allais finir par me brûler les ailes, et à seulement dix-sept ans, je tombais enceinte. Il fut primordial de nous marier pour étouffer le scandale. Même mon mariage n'eut rien de féérique, à croire que tout mes rêves d'enfants étaient là pour ne jamais se réaliser. Je connus tout de même les joies de la maternité avec la naissance de ma fille, Madeline, mais être mariée et mère à dix-sept ans ne faisaient pas vraiment parti de mes plans de départ. Cela eut au moins le mérite de me faire grandir.

Voilà, qu'à l'âge de dix-sept ans, j'étais à la tête d'une grande et magnifique demeure au style victorien dans le coin de Notting Hill. Le jardin était immense, il y avait même un verger et une écurie où je montais même ma propre jument. Seulement, je n'étais pas encore prête pour assumer ses responsabilités et contre l'avis d'Andrew, je persistais à vouloir continuer mes études. J'avais en tête de devenir historienne. Les Tudors me fascinaient : Henry VIII et ses six épouses qui connurent pour la plupart des destins tragiques, Edouard VI et le changement doctrinal, Marie Tudor la sanglante incomprise puis Elisabeth Iere, la reine vierge. Je me débrouillais plutôt bien, lisant les livres d'historiens de mon pays à l'instar d'Elton, mais aussi d'historiens français comme Cottret. Je ressemblais à tout les autres étudiants et cela me plaisait. De plus en plus, je n'aspirais plus à ce comportement hautain de petite peste égocentrique que j'étais auparavant. Je cotoyais des gens de mon âge la journée alors que le soir, je rentrais dans ma sublime demeure pour retrouver mari et enfants car à 24 ans, je mis au monde le fils qu'il attendait tant, Andrew Junior.. Petit à petit, je changeais radicalement pour devenir une parfaite Lady, une épouse et mère de famille modèle qui se pliait aux exigences de son mari. J'ai fini par abandonner l'histoire pour me consacrer à la gérance de ma maisonnée. Dire cela me fait rire, car même dernièrement encore, c'est mon mari qui a choisi l'homme à tout faire de notre demeure sans me consulter. Le seul véritable choix qui m'ait été donné de faire fut de choisir l'intendante de maison, que je choisis contre l'avis de mon mari comme une ultime rébellion : Gemma Hellington. Elle avait seulement trois ans de plus que moi et que je voyais donc en elle comme une potentielle amie. Au fur et à mesure, je m’effaçais face à un mari de plus en plus égocentrique.

« A-t-on le droit de tout quitter simplement parce que l'on se rend compte – un peu tard – que l'on s'est peut-être trompé ? » Je me suis souvent posé cette question dernièrement, et je n'en ai pas la réponse pour le moment. Je ne suis pas à plaindre, et je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. Je suis jeune, j'ai seulement 29 ans ; j'aime mon mari, même si ce n'est pas exactement ce à quoi je m'attendais de l'amour ; j'ai deux merveilleux enfants qui sont plus importants que ma propre vie à mes yeux, je vis dans une grande maison, j'organise de grandes réceptions, je suis une Lady respectée et reconnue... Certes je n'ai pas la vie que j'ai rêvé étant enfant mais ce sont mes choix qui ont déterminé celle que je suis à présent. La seule personne que je devrais blâmer, c'est moi-même ou plutôt mon adolescence. J'étais une enfant gâtée et idiote. Si un génie, une fée comme dans les contes, me proposerait de tout recommencer à zéro, accepterai-je de supprimer la vie de mes enfants pour mon bonheur personnel ? Non, certainement pas. Ma vie n'a peut-être rien d'un conte de fées, mais j'ai eu la chance d'être mère, deux fois, et ça, c'est vraiment le plus beau des cadeaux que m'a fait la vie. « A-t-on le droit de tout quitter simplement parce que l'on se rend compte – un peu tard – que l'on s'est peut-être trompé ? » La question n'est pas vraiment de savoir si j'ai le droit mais plutôt si j'en suis capable. Et pour le moment, je n'ai pas la force suffisante pour cela.