Cela faisait maintenant une bonne vingtaine de minutes, voire même une demi-heure que j'étais sorti de l'hôpital pour prendre l'air en attendant que Joseph vienne me chercher pour aller chez lui. J'avais pu voir quelqu'un pour prendre rendez vous avec le docteur Anderson, mais je ne sais pas si le rendez-vous se fera. En attendant on m'avait dit de revenir le lendemain, pour pouvoir le rencontrer. De ce fait, en attendant Joe, je m'étais assis, ou plutôt avachi sur l'un des banc. Il y avait une fontaine a quelques pas seulement. Elle n'avait rien d'extraordinaire, mais avec la chaleur qu'il faisait, malgré le crépuscule qui pointait, elle jouissait sur moi d'un effet extraordinairement attractif.
Au bout de quelques minutes à la regarder, observant le rideau d'eau tomber de la vasque au bassin, je me dirigeais vers le point d'eau. Je plongeais alors la main dans l'eau. Elle était étonnement fraiche. Bien plus que ce que je n'aurais imaginé de la part d'une eau qui était restée toute la journée au soleil. Je retirait la main et la passait dans mes cheveux, coupés encore de façon très militaire, en brosse et presque rasée sur les côtés. En regardant l'eau du bassin, je vis mon propre reflet. Il n'était objectivement pas beau à voir, les traits plutôt tirés, les yeux légèrement enfoncés dans leurs orbites, le visage en lui même était plutôt décharné. Il faut dire que je n'avais pas beaucoup mangé ces derniers temps, et le fait que je n'avais quasiment plus aucune activité sportive depuis l'accident n'aidait pas. Je plongeais ma main dans ce reflet que je commençais à haïr, et celui ci se brisa en plusieurs dizaines de petites vaguelettes, se mêlant à celles créées par le rideau d'eau qui se déversait, inlassablement.
En me détournant de la fontaine, je scrutait le petit parc de l'hôpital. Il était plutôt verdoyant. Au loin, on pouvait facilement entendre le bruit de la ville, la musique de la cité londonienne encore en pleine activité. Se reposait-elle vraiment ? Dans le parc, contrecarrant le capharnaüm de la ville, plusieurs geais sifflaient leurs mélodies. Depuis tout petits j'aimais écouter siffler les oiseaux, je trouvait cela reposant. Bien sûr, en grandissant, j'ai du ne plus y faire attention, cela ne se "faisait pas" chez les adultes... Père voulait toujours que je fasse tout comme les adultes...
Je m'assis sur la fontaine, une jambe suivant la courbure du bassin tandis que l'autre, déjà bien amochée pendait sur le côté. Je la laissais se reposer. Les médecins militaires m'avaient bien dis de ne pas trop lui faire faire d'effort. J'étirais donc ma jambe en état, essayant de me relaxer, de me décontracter. Ces quelques jours avaient été très intenses. Et il fallait que je récupère. Tant physiquement que moralement. La balle que j'avais reçut a entrainé dans son sillage bien des souvenirs, se faufilant maintenant dans mes veines, tentant sans répit d'atteindre mon coeur et ma mémoire. Je savais que mon réapprentissage serait long, et pas uniquement médical ou physique. Je restais donc à la fontaine, attendant que le temps passe. Attendant qu'un évènement survienne pour briser ce silence reposant ou tout simplement attendant l'heure.