Les yeux mi clos, Scott laissait ses doigts courir sur l'instrument tiède entre ses mains, laissant la musique le posséder. Il aimait jouer avec ses vieux compères du Blue Monday. Certains étaient bien plus âgés que lui, d'autres autant, mais chacun avaient leur manière bien à eux de jouer, toutes différentes, toutes appréciables. Un instant c'était un bœuf, un autre une reprise rangée de gros classique, selon l'humeur et l'état de fatigue des membres. Ce soir, c'était avec ce bon vieux Danny, qui n'était pourtant pas si vieux, mais semblait né avec un piano entre les doigts.

Comme chaque soir, certains visages étaient invisibles, et d'autres attiraient l'attention. Parmi eux, il y avait cet homme au visage renfermé mais au regard étonnamment perçant, qui lui avait plus dès le 1er regard. Le genre de profil qui donnait envie d'être peint ou moulé dans la glaise. Cependant, lorsqu'il jouait, ce n'était pas le moment de mater. C'est pourquoi il s'était concentré sur son instrument, avant de finir par signaler d'un petit mouvement de la tête qu'il avait besoin d'une pause.

Laissant le pianiste prendre le relais pour un tranquille solo, il s'éloigna de la scène de quelques pas, prenant avec reconnaissance le mouchoir en papier offert par une serveuse pour s'essuyer la nuque. Il transpirait étonnamment ce soir. L'air était un peu lourd non ? Il déposa son instrument sur le socle prévu à cet effet, avant de passer au bar réclamer sa boisson gratuite du soir, un Last Call, et revint tranquillement sur ses pas, hésitant ou s’asseoir. Oui bon, pas la peine de chercher à se mentir à soit même : Il savait déjà ou il allait s’asseoir :

« Ce regard la, je ne l'aurais pas oublié, je devine donc que c'est la première fois que tu viens ici ? »

Une main posée sur le rebord de la table, il eut la décence de ne pas s’asseoir aussitôt. Et puis, il restait la possibilité de se voir aussitôt repoussé. Ça lui arrivait parfois, d'accoster la mauvaise personne. Il en était rarement traumatisé. Le jeune homme eut un sourire tranquille, un peu joueur, avant de porter son verre à ses lèvres, appréciant le goût fort de ce cocktail typiquement londonien.

Les yeux mi clos soutenus par un sourire gourmand, le jeune homme observa avec attention l'homme face à lui prendre une gorgée de sa propre boisson, avant de laisser filer une réplique sarcastique qui le fit sourire d'autant plus, nullement gêné par son comportement. Cela dit, il en fallait beaucoup pour le mettre mal à l'aise ce garçon la. Aborder des inconnus était un jeu auquel il était rodé. Il y avait des surprises, tout comme des gens totalement ennuyeux. On était visiblement plus dans la 1ere catégorie la.

« J'en ait d'autres en stock quand même. Mais je trouvais que « Je t'ai vu sourire, et alors j'ai eut envie de te parler » ne te correspondait pas vraiment. »

Répliqua t'il avec un sourire malicieux. Il se laissa couler sur la banquette, un peu plus proche que ne le voulais la décence mais pas non plus collé à lui, posant son verre sur la table avant de jouer du bout du doigt avec l'humidité laissé par la margarita de Dorian.

« Mon instrument est un vieil ami. Mais il ne remplace pas une présence humaine, c'est sur. »

Une main souple repliée contre ses lèvres, il observa sans se cacher le visage de l'homme assis à coté de lui. Un regard perçant. Un profil acéré. Un mélomane qui n'en avait pas l'air, ou quelqu'un échoué ici par hasard ? Il ne fallait pas toujours se fier aux apparences.

« Tu aime le jazz ? Certains n’apprécient pas, mais je trouve que c'est une musique qui ne se démode pas. »

Autant faire durer le plaisir et faire un peu connaissance avant de passer à l'attaque pour ne pas agir totalement comme un animal en manque d'affection. Certaines mauvaises aventures lui avait appris que certaines personnes étaient fondamentalement louches. Mais il avait toujours réussi à fuir par la fenêtre. Et puis, le monde ne pouvait pas être rempli que de cinglés, hein ? Pas celui la en tous cas, il l’espérait grandement. Ça aurait été un beau gâchis. De toutes manières, il se targuait de réussir à les reconnaître désormais. On verrait s'il y arrivait toujours.

Sur scène, le joueur de contrebasse l'observait avec un air embarrassé, comme il l'était toujours lorsqu'il le voyait aborder quelqu'un. Qu'il se rassure, il n'oublierait pas qu'il devait encore jouer quelques morceaux avant de partir. Mais il lui fallait ferrer son poisson avant.

La réponse fut relativement brève. Il n'était pas plus bavard qu'il ne semblait l'être. Réservé aussi. Si son expression était relativement pensive, derrière son regard semblait se cacher nombre de sentiments retenus. Cela donnait envie d'en savoir plus. Bien que toute en retenue, la réponse lui avait plut. Tout comme la mention de sa véritable raison pour être ici, qu'il n'avait pas de mal à deviner. Il aimait ces instants, ou celui qui était un véritable inconnu l'instant d'avant était en train de lui parler, et que d'un commun accord, ils savaient comment finirait la soirée, sans avoir besoin de se le dire. Il se demandait quel toucher aurait ce corps, et quel goût aurait sa transpiration. Le sourire de Dorian trancha avec surprise dans ses pensées, déclenchant l'impression qu'une nuée de papillon s’ébattaient dans son bas ventre, accompagné d'une réaction physique qu'il ne s'attendait pas à avoir à la simple vu d'un sourire comme celui la. Heureusement qu'il portait un jean serré.

C'était purement et simplement alchimique. Comme toute alchimie, sûrement destiné à exploser à très court terme, mais pour le moment, c'était juste très excitant et passionnant. Le jeune homme contint l'envie de se couler contre lui pour goûter le plus vite possible à ces lèvres. Tout le monde n'avait pas forcement envie de s'exposer aux yeux de tous, et lui même n'était pas particulièrement exhibitionniste. Même s'il se satisfaisait parfois d'une bien mince cachette comme un rideau devant une alcôve mais la n'était pas la question.

« Si tu a la patience de m'attendre, je te montrerais comment je manipule un instrument de manière vraiment indécente. »

Le sourire fripon atténuait la portée provocatrice de ses paroles, alors qu'il posait la main sur le genou du médecin, juste un instant, avant de se relever, comme si le geste avait été maladroit. Allez, il était temps de faire sa reprise sur scène. Il se sentait d'attaque pour une improvisation bien libérée, la tout de suite. Ce genre d'état fébrile n'était pas fait pour jouer sagement la mélodie d'un autre.

Son verre au bout des doigts, il rejoignit ses compatriotes, posant le reste de sa boisson sur le bord du piano, avant d'échanger quelques mots avec les autres musiciens. Il passa la bandoulière de son saxophone par dessus son épaule, retrouvant le poids familier de l'instrument. Ou lui avait déjà demandé si, à choisir entre la musique et l'art, quel aurait été son choix, mais il avait toujours trouvé cette question idiote. C'était un état créatif global, une manière de s'exprimer, de laisser filer entre ses doigts les couleurs et les sons qui bouillonnaient dans sa tête au point de parfois l'en empêcher de dormir.

Il se mordit la lèvre, concentré, avant de commencer à jouer, bien vite rejoint par ses compagnons, rendant au spectacle une allure peu ou prou similaire à celle qu'il avait avant qu'il ne quitte la scène, un peu plus languis peut-être. La scène n'était pas su relevée, un simple espace dégagé au milieu des tables, mais la disposition permettait à de nombreuses personnes de voir les musiciens en action. Des mèches de cheveux collés sur le front par la transpiration, les yeux fermés, Scott se noya dans la musique, presque oublieux du reste. Il n'avait pas envie de faire un sketch pour titiller son potentiel amant du soir. Il espérait juste le retrouver à la sortie du show. Et s'il n'était pas la, ça serait un autre. Mais ça serait décevant, très décevant. Il avait envie de revoir ce sourire, et de mordre cette peau.

La fin du show arriva finalement. Ils n'avaient pas d'heure très précise, plutôt une tranche horaire. Il leur arrivait de déborder d'un bon quart d'heure quand ils étaient lancés dans une improvisation particulièrement réussie. Ce n'était pas le patron qui allait s'en plaindre. Pour cette même raison, il passait l'éponge quand le show était écourté pour une raison ou une autre. Échange de bon procédés. Le jeune homme rabattis ses cheveux en arrière pour se rafraîchir un peu le front. Il avait la gorge sèche, mais son verre devait être tiède désormais.

Sans qu'il n'ait le temps de regarder si sa promesse du soir était encore la, le contrebassiste engagea la conversation sur les derniers enchaînements qu'il avaient effectués, sujet suffisamment intéressant pour qu'il s'y laisse prendre un instant, . Avant qu'il ne s'humecte les lèvres avec un sourire joueur lorsqu'il reconnu l'homme de tout à l'heure qui s'avançait vers eux. Il marchait sans grâce, mais avec la force de quelqu'un qui se fait respecter. Il devait avoir un poste important. Son coéquipier fuit assez vite, relativement gêné, lui laissant toute latitude pour converser avec cet homme.

Il leva un sourcil interrogateur à la question, notant avec amusement l'utilisation de son prénom. Il n'était pas sur de vouloir connaître le sien, du moins pas encore. Il aimait ce petit frisson de l'inconnu. Son expression interrogative se mua en un grand sourire tandis que ses yeux brillaient d'impatience.

« … Pas de problème. »

Il termina de démonter soigneusement son instrument avant de le ranger dans une arrière salle de service ou il lui arrivait de le laisser lorsqu'il ne voulait pas forcement le rapporter chez lui. Récupérant sa veste et son sac en bandoulière d'une main désinvolte, il rejoignit Dorian qui l'attendait prêt de la porte après avoir salué d'un geste de main le maître des lieux et le personnel qu'il croisa sur son chemin.

L'air frais du soir lui déclencha un frisson dans le dos, et enfila sa veste, suivant les pas de l'homme à coté de lui, sans chercher à meubler une conversation qui n'avait pas lieu d'être. Il préférait observer son profil, taillé par les lumières de la nuit, ainsi que les lumières dansantes alentours. L'homme s'arrête finalement, face à une moto dont Scott aurait été bien incapable de dire la marque, mais qui lui plaisait déjà. Il attendit que son conducteur ait mis son casque et se soit assis pour s'installer derrière lui, collant son bassin plus que de nécessaire contre lui, avant de glisser ses bras autour de sa taille, passant les mains sous les pans de sa veste de cuir ouverte.

Le démarrage fut un peu brutal, et il se doutait que son pilote le faisait exprès. Il dut agripper de toutes ses forces à lui, appréciant l'air frais qui agitait désormais ses cheveux. Les lumières de la ville défilaient autour de lui, tandis que la moto slalomait entre les voitures. Il aurait aimé que la moto roule à toute vitesse sans avoir à ralentir ou s'arrêter aux feu rouges. Dans les ralentissements, sa main se faisait plus caresse, sans jamais se montrer suffisamment insistante pour déranger le conducteur. Il était insouciant jusqu'à un certain degrés tout de même.

Le trajet ne fut pas très long, et ils parvinrent bientôt dans une petite zone résidentielle pas désagréable. Mais à ce moment la, Scott n'avait plus envie d'observer les environs.

« C'était génial »

Déclara t'il en s'étirant, les cheveux ébouriffés par le trajet. Il pris le casque des mains de Dorian, s'amusant à le soupeser, tandis que celui-ci ouvrait la porte de sa maison. Il le suivit à l’intérieur, et à peine celui-ci eut il refermé sa porte qu'il se retrouvait collé contre elle par Scott qui, ayant laissé choir à terre sac et casque, le tenait par le col comme s'il eut voulu l'agresser. Au détail prêt qu'il l'embrassait à pleine bouche, avec une certaine ferveur. Il avait le goût de l'alcool qu'il buvait juste avant ça. Il le relâcha assez vite, restant néanmoins agrippé à lui, un grand sourire étirant ses lèvres.

« C'était pire qu'une envie de pisser »

Il ne lui manquait plus que les oreilles et la queue de chat pour lui donner l'air faussement désolé de celui qui attend la suite.