C'est ici que ça se passe

Si tout le monde ne supportait pas d'être à la place passager d'un deux roues, les deux mains glissées sous son blouson, caressante, montraient bien que ce n'était pas le cas de celui qui était présentement collé à son dos. La sensation était plaisante, un indice de ce qui allait se passer pour le reste de la soirée, sans être suffisamment dérangeant pour risquer de lui faire oublier de regarder la route. Souriant derrière son casque, Dorian, dans le secret des rues de Londres, se permit de faire quelques détours pour prolonger le contact jusqu'à arriver au parc d'une de ces vieilles maisons bourgeoises dont Hampstead regorgeait. Celle-ci avait vu ses étages dispatchaient en magnifiques appartements à louer, où Dorian occupait pour le moment le rez de chaussée.

Se retrouver collé à la porte comme un ado en chaleur ne lui était pas arrivé depuis un long moment. Avec un sourire prédateur, le médecin posa sa main à plat sur le torse de son futur amant pour le forcer à reculer en direction de la chambre à coucher, l'autre main sur la hanche qui saillait entre un jean moulant et un haut savamment retroussé pour ne montrer qu'une infime partie de peau d'autant plus attirante.
Si toutes les nanas qui l'abordaient à moitié à poils comprenaient un jour que ce qui l'attirait, c'était la négligence d'un morceau de ventre ou de hanche qui se voyait entre deux vêtements, la naissance de la nuque et tout autre petit carré de peau qu'on devinait et qui donnait envie de glisser la main pour voir la suite... Et pas une exposition de chair comme dans une charcuterie.

« Alors on ne va pas faire attendre une envie pressante comme ça. »

Les lèvres occupées, contre les siennes, contre sa gorge, sur tout endroit qu'il pouvait attraper et agacer, il continua de le repousser, implacable, pas par pas, avec la force de celui qui n'a pas l'habitude de se voir contredit. A quelques exceptions près.

Après réflexion – c'est à dire plus tard, quand il aurait repris l'utilisation de son cerveau du haut, et non de celui du bas – il aurait réalisé qu'allumer aucune lumière en se déplaçant chez lui était une incitation aux problèmes. Les phéromones étant ce qu'elles sont, Dorian ne comprit l'envergure de sa bêtise qu'en poussant Scott sur lui, ce qui provoqua un miaulement coléreux et l'ouverture de deux yeux brillants dans le noir tel un démon furieux d'avoir été dérangé pendant son repos.

Regard furieux que Dorian confronta, colère pour colère, sa main se crispant instinctivement contre la peau de Scott avant qu'il ne se force à desserrer avant de laisser une marque non voulue.

«  Putain Loki, dégage ! »

Pourquoi, au regard que lui lança son chat en descendant du lit, eut-il l'impression d'être un ado surpris par ses parents ? Étrange mystère de la vie s'il en est.

Une main glissée dans les cheveux de son amant, pour le retenir, ou pour l'empêcher de fuir, il n'en savait trop rien à ce stade, Dorian prenait plaisir à se laisser caresser par Scott, dans tous les sens du terme. A quel moment avait-il laissé le contrôle de la situation au jeune musicien ? Quand il avait pris les devants assis sur le lit, quand il l'avait plaqué sur la porte pour l'embrasser à perdre haleine ? Bonne question, à laquelle il n'avait pas la moindre envie de réfléchir alors que ses lèvres provoquaient des décharges dans ses reins, lui faisant pousser des gémissements qu'il nierait toujours avoir la capacité de pousser.

«  A...attends... »

A bout de souffle, quasi suppliant, il n'y avait pas besoin de réfléchir beaucoup pour savoir ce qu'il demandait d'une voix éraillée, dénuée de son assurance habituelle. Rendre les armes, rendre les rênes d'une situation ne lui venait pas aisément, mais une fois qu'il était lancé... tant qu'à boire la coupe, autant la boire jusqu'à la lie et prendre son pied au passage.
Hormis Scott, nul témoin pour savoir que le Dr Barton avait lâché prise et se laissait entièrement faire au bon vouloir d'un jeune musicien aux mains dorées.

Délaissé juste suffisamment longtemps pour reprendre son souffle, Dorian attrape le visage de Scott entre ses mains et l'embrassa longuement, collant sa peau moite contre la sienne sans réserve. Quelque part dans la mêlée, il réussit à se reculer suffisamment pour retirer son pantalon alors que l'autre homme faisait de même. Là où Dorian se contenta de l'enlever de manière efficace et rapide, le jeune homme prit le temps de le faire glisser sur ses hanches, très conscient du regard de Dorian sur lui, sur l'effet qu'avait la lumière pâle pour mettre en valeur son corps.
Une petite voix cynique au fond de lui marmonnait qu'il aurait pu tout aussi être très quelconque, le manque de lumière l'aurait caché – et que de toute façon, seules les hormones parlaient, très satisfaites en cet instant . Petite voix que Dorian fit taire en revenant au contact de son amant.

A quel moment s'était-il retrouvé sur le ventre, Scott au dessus de lui s'attaquant à sa peau avec une ardeur renouvelée ? Entre agacé et séduit d'être ainsi manipulé, il tendit le bras jusqu'à sa table de nuit pour en sortir capote et lubrifiant qu'il tendit au musicien, se cambrant pour croiser son regard.

« C'est le moment de montrer à quel point tu es doué avec tes doigts. »

Sa voix avait perdu de sa superbe et du tranchant qui accompagnait en général toutes ses remarques, positives ou négatives, et qui les faisaient toujours prendre du côté le plus noir possible. Il y avait un temps pour tout : celui pour les remarques acerbes, et celui pour s'envoyer en l'air. Pour aujourd'hui, les deux ne se mariaient pas.

Une main glissée dans les longs cheveux de son amant, l'autre sur la peau moite, Dorian reprenait lentement son souffle, appréciant les caresses câlines offertes par Scott avec la même facilité que le sexe, comme s'ils avaient été des amants de longue date et non des inconnus tout juste découverts au cours de la soirée. C'était plus simple. Avec un illustre inconnu, qu'importe qu'il se montre passif ou plus tendre qu'à ses habitudes. Son relâchement serait vite oublié quand ils retourneraient chacun à leurs occupations dès le matin, probablement pour ne plus jamais se recroiser.
Les muscles encore alanguis, le médecin resta un long à apprécier les caresses et le simple contact jusqu'à enfin s'extirper hors des bras du musicien pour aller se glisser sous la douche. Il aimait le sexe, pas dormir poisseux et collé. Peu offensé par ses manières, son amant fut prompt à la rejoindre sous le jet d'eau chaude, transformant rapidement le lavage en nouvelle cession de caresses érotiques pendant laquelle il prenait un malin plaisir à prendre les devants.

Ils finirent par s'écrouler tous les deux dans le lit – malgré tout ce qu'on pouvait dire de lui, Dorian n'était pas assez cruel pour jeter à la porte un compagnon d'une nuit une fois satisfait, surtout quand l'heure devenait trop tardive pour trouver un transport aisément. A tout choisir, il préférait encore dormir avec le jeune homme que devoir ressortir en moto le larguer quelque part. Et avec ses mains douces et ses lèvres sensuelles, il était loin d'être le pire amant avec qui partager son lit.

Le réveil sonna bien trop tôt à son goût, le forçant à sauter de son lit en sursaut – lit désormais vide. Dorian le contempla un instant, avant de repartir dans la salle de bain, un instant confus sur le départ de Scott, avant de supposer que c'était tout aussi pratique. Puis de jurer un grand coup à l'idée de ne plus avoir ce petit con sous la main pour l'étrangler, quand, enfin réveillé, il put découvrir l'ampleur des dégâts de la nuit : sans oublier la marque de la morsure sur son épaule, le musicien s'était amusé à égayer sa peau pâle de plusieurs marques rouges du plus bel effet. Hors de question de pouvoir retirer le col de sa chemise pour la semaine à venir. Au moins.

Jurant entre ses dents, le médecin essaya une ou deux falsifications cosmétiques avant de finir par s'habiller en vitesse, boutonnant sa chemise jusqu'en haut et ajoutant une cravate en plus pour assurer la tenue de sa protection de tissu.
Une fois habillé, il n'eut que le temps d'aller nourrir un Loki insistant qui l'escortait dans toutes les pièces avant d'attraper son casque et de partir prendre son poste, grognant entre ses dents contre le monde entier : son amant trop empressé et parti avant même qu'il puisse l'engueuler pour les petits souvenirs, ses collègues qui n'allaient forcément rien pouvoir gérer avant son arrivée, et l'intégralité de la circulation londonienne qu'il fallait forcément citer dans ce marasme.

Quasiment un tour de cadran plus tard, c'était un Dorian tout aussi tendu mais bien moins agressif qui passait le seuil de son appartement dans l'autre sens. La journée s'était déroulée sans accroche, avec son taux habituel de situations contrariantes et de conflits. L'interne avait pris pour son grade, une infirmière avait pleuré tandis qu'une autre avait pris sur elle de prendre sa défense et de tenter de sortir ses quatre vérités à son chef, le tout sous les yeux horrifiés de l'équipe. L'explosion n'était jamais venue : Dorian avait ricané et proposé à la femme à la langue bien pendue de prendre sa position si jamais ça lui tentait. Quand il était parti s'enfermer dans son bureau gérer sa paperasse, il avait entendu des débuts de discussions affolées à son sujet : a priori, sa réaction était « meilleure » que celles habituelles, même s'il ne voyait pas selon quels critères.

« Hey Loki, va mon beau ? »

Le félin tourna autour de ses chevilles avant de courir sauter sur son canapé, devant lequel Dorian se figea devant la surprise de la journée, à court de mot sur l'instant.

Indifférent à la tension de son compagnon à deux pattes, Loki huma une fois ou deux la main de l'humain avachi sur le canapé avec qui il avait partagé sa demeure le temps d'une journée avant de faire demi-tour et de sauter correctement dans les bras de Dorian qui les referma sur lui, habitude née d'un long dressage félin bien mené.
L'animal avait sûrement senti que ce serait la meilleure solution pour éviter à son colocataire d'étrangler correctement son squatteur et de finir en prison, ce qui le priverait de son fournisseur officiel de pâté. De son côté, Dorian était proche de la rage noire – non pas pour les souvenirs sur sa peau dont l'avait gratifié son partenaire de la nuit et qui lui avait donné des envies de meurtre le matin même – mais bien par sa présence dans sa retraite, à un moment où il n'aspirait qu'au calme et à la tranquillité. Plus que le côté agaçant de l'imposition, de savoir qu'un inconnu soit resté chez lui, au risque de voler ou casser quelque chose, c'était de le voir là, comme s'il était chez lui.

Quand il avait été étudiant, il avait commencé, comme la plupart de ses congénères, par avoir un colocataire en cité Universitaire, grand lieu réputé pour apprendre la vie en société et à se débaucher correctement. Il avait tenu trois mois avant de déménager pour un studio en solitaire, préférant un appartement plus petit à un endroit où il n'arrivait jamais à baisser sa garde. Une fois seul quand il le souhaitait, il lui avait été bien plus simple d'avoir une vie sociale active, même si émaillée de remarques acerbes. A croire que c'était pour ça qu'on l'appréciait.

«  Qu'est-ce que tu fous là ? Comment as-tu pu rentrer ? »

Il avait été légèrement vexé du départ en catimini de Scott et l'était tout autant de savoir que l'autre avait réussi à retrouver le chemin du retour, s'incrustant chez lui comme un chat errant squatte par une fenêtre entrouverte pour aller s'installer sur les coussins du canapé. De préférence en laissant quelques traces de pattes boueuses. A défaut des pattes, il y avait des pancakes à peu près appétissant. Sur son échelle des valeurs, le côté domestique avait un quelque chose de plus inquiétant que de simples traces de pattes : un chat, ça se foutait à la porte avec un coup de pied au cul.
Un coup d'oeil à Scott lui rappela que cette option était toujours valable, et même plus : attrayante.

« Et c'était quoi cette idée de me laisser ces fichus marques ? »

Ses mains le démangeaient de déboutonner sa chemise pour appuyer ses dires, mais le jeune homme devait se souvenir de ce qu'il avait fait.
Reculant de l'autre côté de la pièce, il laissa Loki glisser de ses doigts sans se soucier de voir si le chat retourner couvrir de ses faveurs l'autre homme, pendant qu'il retirait sa veste et desserrait sa cravate d'un geste énervé.

Dorian observa l'autre homme un long, une expression entre incompréhension et agacement apparaissant sur le visage alors qu'il se demandait s'il plaisantait ou non. Le sans-gêne manifeste de Scott était perturbant. En règle général, son comportement peu aimable rencontré deux types de réactions : les gens terrorisés qui baissaient le nez et fuyaient vite ou ceux qui montaient au créneau et se décidaient à lui répondre du tac au tac, le plus souvent en balançant ce qu'ils pensaient être ses quatre vérités. Avoir face à lui quelqu'un qui restait complètement tranquille et inébranlable lui donnait envie de le secouer jusqu'à ce qu'il trouve les choses un peu moins normales.
A la place, le médecin alla fouiller dans le congélateur pour sortir un glaçon d'une couleur rouge peu engageante qu'il mit à décongeler dans un verre d'eau. A côté, il remplit un second verre de jus de fruit d'une couleur orangée bien plus banale. Et surtout, sans petites bêtes qui commençaient à flotter dedans. La suggestion du musicien lui fit faire volte-face avec la même expression que ses collègues avaient appris à reconnaître et à fuir.

« T'en as d'autres idées comme ça ou tu as décidé de me faire ta démonstration du comportement de l'ado attardé ? Et laisser des marques sur les autres n'est absolument pas mon kif. Encore moins pour 'équilibrer' les choses. »

Avec un soin maniaque, Dorian remonta ses manches de chemise pour laisser ses bras libres puis ouvrit son aquarium, observant les mouvements des poissons colorés dans l'eau en même temps. Totalement inconscient de la main de celui qui pourraient bien être leur dieu, ils continuaient leur danse, se cachant à un mouvement trop brutal devant la vitre avant de revenir parader, tout en couleur et mouvements déliés. De quoi l'apaiser même s'il était encore tendu par rapport à la présence de son amant derrière lui.

« Je peux te ramener si ça te fait partir plus vite. »

La proposition avait été faite à contrecœur, née de la tranquillité imposée par le passage d'un couple de poissons-clowns devant ses yeux et la notion qu'on était jamais si bien servi que par soi-même. Et que s'il voulait être seul, il allait devoir mettre Scott à la porte lui-même apparemment. Un frôlement moelleux passa à coté de son bras : Loki, venu s'installer non loin de lui pour admirer le spectacle de l'aquarium ouvert, se léchant les babines comme s'il avait une chance, un jour, de goûter ces poissons pour qui son maître avant tant d’intérêt. Par jalousie ou gourmandise, difficile de le savoir.

Pour quelqu'un d'aussi détestable qu'il aimait à se montrer, il appréciait assez facilement le contact physique tant qu'il ne promettait rien de plus qu'un peu de bon temps. Dire que le baiser sur la nuque ne lui fit rien aurait été un mensonge. D'autant plus quand celui-ci s'abrégea rapidement quand son aquarium puis un carnet à croquis devinrent tour à tour plus intéressant que lui. Tant de désinvolture dans la séduction aurait presque pu devenir vexant.
En lieu et place de lancer une nouvelle remarque acerbe sur sa non facilité – qui aurait été parfaitement déplacée vu la manière dont ils avaient passé la soirée – ou sur le côté rétrbution assumé par le musicien – assumé, donc sans intérêt pour une attaque – Dorian en revint à ses poissons, distribuant les crevettes maintenant décongelées dans le bac et observant tour à tour les différents poissons.
S'occuper d'un aquarium qui nécessitait la surveillance précise de différents paramètres chimiques à juguler avec des moyens externes, s'occuper d'un humain en défaillance organique à l'aide de paramètres précis jugulés par des drogues ou des machines externes... du pareil au même.
A la petite différence qu'un aquarium était bien plus agréable à observer qu'un être humain posé dans un lit de réanimation.

Une fois son devoir accompli, Dorian troqua le verre de crevettes pour son verre de jus de fruit, attrapant au passage un pancake avant d'en revenir avec méfiance vers Scott, hésitant sur ce qui était le plus intéressant : l'envoyer promener ou le prendre au mot sur sa dernière proposition. La question se posait rarement, mais le musicien semblait étrangement immunisé à ses coups de gueule – à se laisser de râler dans le vide.
Pour finalement choisir une troisième option quand son regard tomba sur la page déjà remplie de croquis de ses poissons.

«  L'anat' du nemateleotris est fausse. »

Sans attendre d'autorisation – il ne la demandait jamais, l'assumant avec toute l'arrogance médicale dont il pouvait faire preuve – le réa attrapa un crayon bleu de la trousse et passa un bras au dessus de l'épaule du dessinateur pour corriger sur le croquis ce qui clochait à son goût, gardant la même désinvolture envers la distance personnelle qu'ils avaient eu tous les deux depuis la première approche.

« Il n'y a pas de séparation aussi marquée entre les nageoires dorsale et caudale, ni entre ventrale et caudale. C'est parfois même complètement continu, comme pour le violet planqué sous le rocher. »

Quelques traits pour montrer l'anatomie correcte, quelques ombres de plus pour satisfaire à son goût personnel et appuyer l'idée – qu'importe si les croquis étaient plus que corrects pour une première approche .

Tiens donc, son squatteur n'était donc pas une création parfaitement éthérée au dessus de toutes les émotions humaines et avait aussi ses limites. Le sourire qui flirta sur les lèvres de Dorian avait un quelque chose de définitivement satisfait alors qu'il se penchait sur la nouvelle feuille, tout aussi dédaigneux que le dessinateur de la feuille abandonnée sur le parquet. Il avait fait largement pire que jeter une feuille froissée sur le sol, pourquoi s'en émouvoir ?
Une fois de plus, il resta trop près de lui pour parler, rompant les distances convenables. Leur... « relation » puisqu'il fallait bien utiliser un terme pour qualifier leurs interactions, n'avait rien de bien conventionnelle, abolissant les distances classiques et créant des barrières presque infranchissables sur ce qui chez d'autres aurait été la base.

« A quoi bon faire du dessin d'observation si c'est pour faire n'importe quoi à l'arrivée ? »

Il était de mauvaise foi – pas plus que d'habitude certes – car les dessins de Scott n'était en rien n'importe quoi, mais assurément fort différent de ceux qu'il aurait couché sur le papier s'il avait été à sa place. Le dessin, Dorian y était venu durant ses premières années de fac de médecine, quand il avait du apprendre à crayonner rapidement tous les schémas d'anatomie qu'il était sensé ingurgiter. Et pas l'anatomie vulgarisée des os et des muscles, mais bien chaque détails de toutes les insertions tendineuses et musculaires, le passage de chaque nerf, toutes ces précisions qui avait rendu fout plus d'un premier année pas assez consciencieux. Le jeune homme colérique avait trouvé son salut dans le dessin des planches d'anatomie. Précision, calme, concentration, il avait fini par allier plaisir avec apprentissage. Quand il avait su l'anatomie humaine de la pointe d'une coupe sagittale à l'extrémité d'une coupe pariétale, il avait continué, pour le plaisir, passant à d'autre sujets d'observation, mais avec toujours autant d'observation et de précision. Il ne trouvait son salut que dans la vérité.
Quelque part, il s'était beaucoup amusé en écoutant quelques épisodes de Dr House, en voyant le vieux sadique obsédé par la vérité : il comprenait la notion. En dessinant, il ne voulait voir que la vérité. Pas s'amuser à modifier la queue d'un poisson pour l'esthétique.

Délaissant un instant le dessinateur, Dorian draina son verre de jus de fruit jusqu'à la dernière goutte, hésitant à se lever pour en reprendre un autre. Ou n'importe quel concentré glucosé qui lui permettrait de tenir la soirée. Dommage qu'il ne soit plus assez con pour se livrer à l'expérience qu'il avait fait avec deux autres crétins lors de ses études : se coller sous perfusion pour pouvoir étudier toute la nuit durant. Mi-défi, mi-expérience, les trois étudiants s'étaient perfusés mutuellement. L'expérience était partie en vrille après l'injection de caféine en IV pour sa part : il avait fini avec une migraine carabinée qui l'avait rendu d'humeur encore plus exécrable que d'habitude. Il n'était pas celui qui avait eu la pire soirée. L'un des leurs avait fini aux urgences avec une jolie tachycardie paroxystique. Quand au troisième, habitué à boire sa cafetière quotidienne et un ou deux RedBull, il n'avait même pas sentir la différence.

«  Et rose barbie ou pas, tu as oublié ses branchies. A ce niveau, tu vas le transformer en mollusque . »

Gratuit, pour la route, en rétribution de la facilité avec laquelle son musicien-coup-d'un-soir-transformé-en-dessinateur s'était installé chez lui.

« Et toi tu es un emmerdeur beaucoup trop assuré. »

Se soumettre est avant tout un état d'esprit. Et ce fut loin d'une quelconque idée de soumission ou de dominance que Dorian frotta sa joue contre le pantalon de Scott, acceptant facilement l'invitation pour ce qu'elle était malgré ses paroles contradictoires.
Le médecin s'offrit un sourire amusé en ouvrant lentement le pantalon de son amant : si tous ceux qui avaient galéré avec son sale caractère avait pu s'imaginer qu'il suffisait de lui mettre quelque chose dans la bouche pour le faire faire... et il bien il se serait foutu le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Autant imaginer qu'il suffisait d'une cravache pour dresser un cheval ombrageux.

Plus délicat et aventureux que la veille au soir, maintenant qu'il prenait les choses en main, au sens propre plus qu'au figuré, Dorian caressa un instant son amant, ne lui donnant pas la satisfaction immédiate de se taire sur son ordre alors qu'il constatait sa nudité une fois son pantalon ouvert. En avait-il été de même la veille ? Il n'arrivait pas à s'en souvenir. Rien de très choquant quand on bossait à l’hôpital où la moitié des médecins femmes et des infirmières étaient nues sous leur blouse. Par confort si on leur posait la question. Bien sur.

« Ça veut dire qu'il y a encore beaucoup d'affaire à toi qui traîne chez moi ? »

Une main un peu plus dure qu'avant l'incita à mettre fin à ses paroles pour s'occuper de l'objet devant lui avec grand intérêt. A croire qu'être mené à la baguette faisait parti de ses fantasmes inassouvis – vu son caractère, ses partenaires prenaient souvent des baguettes pour ne pas être éjectés avant l'acte selon ses humeurs. Etait-il si hargneux qu'il donnait l'impression de ne plus pouvoir être passionné ?
Et pourtant.
A flirter avec la mort à longueur de journée, s'envoyer en l'air sans se soucier de quoi que ce soit d'autre avec un illustre inconnu retrouvé sur son canapé avait un quelque chose de délectable. La fin de journée idéale pour se rappeler qu'il n'était ni un dieu ni en alliance avec la faucheuse. Et il réfléchissait beaucoup trop pour la position.

Fantasque, Dorian se laissa aller à être caressant et curieux, glissant ses mains sous la chemise du musicien, griffant doucement une peau trop douce sous ses doigts autant que lui permettait la position dont il ne songeait pas trop à se dégager, à dire vrai.

Complètement sans gêne, voilà comment était Scott, à tous les niveaux possible, le sexe comme les autres. De quoi le rendre fou en temps normal, et juste un peu amusé après l'orgasme, avec le même jeune homme installé sur lui avec un petit sourire bien trop satisfait qui donnait envie de mordre. Avec la vague impression d'avoir servi de jouet – non que ce soit totalement pour lui déplaire – le médecine leva la main à son visage, s'essuyant sa joue avec une grimace. Le côté scénario de porno de la position l'aurait presque mis mal à l'aise si on lui avait laissé le temps d'y réfléchir avant. Après coup, c'était surtout les reliquats qui lui donnaient envie de grogner. Les fluides corporels en déco de son appartement ne lui plaisaient absolument pas.

« Sauf sur le canapé. T'es pire qu'un chat qui marque son territoire. Tu as prévu quoi pour la prochaine fois ? »

Avant même de laisser au musicien la possibilité de répondre, Dorian se redressa sur un coude et plaqua sa main sur la bouche bien trop douée du jeune homme, frissonnant quand le changement brusque de position frotta lascivement leurs membres l'un contre l'autre. Un amant joueur et fantasque n'avait pas que des inconvénients. Les lèvres de Scott était humide sous ses doigts, et il devinait presque le sourire qui s'étirait contre sa peau, caressant et tentateur.

« Non, ce n'était pas une invitation à se revoir.»

Le blond se laissa retomber en arrière sur le canapé, repliant son bras au dessus de ses yeux quand le soleil vint frapper pile sur son visage. La lumière chaude était confortable, tout comme la position et le contact. Excès d'endorphine. Il était facile de rationaliser sa détente sous forme de processus chimique et autres drogues qui baignaient son cerveau, le rendant plus sensible au plaisir et à la lascivité. Bien des poètes s'étaient amusés à coller des mots raffinés pour parler des orgasmes ou de l'amour. A la place, Dorian préférait décomposer l'idée en termes médicaux. Et comme tout processus physiologique, il avait un début et une fin, ce qui le rendait bien plus simple à gérer, aussi suave puisse-t-il être pendant l'acte.

Un bruit de dépression léger se fit entendre à sa droite, suivit d'un déplacement feutré et délicat. Sans le voir, il imaginait très bien Loki juché sur le dossier du canapé, à observer de ses yeux verts la scène devant lui, assis comme un prince avec sa queue enroulée autour de ses pattes. Au moins avait-il eu la décence de ne pas venir participer pendant les réjouissances.

Les yeux mi-clos, profitant du soleil avec le même plaisir que son chat, Dorian ne réalisa toute la teneur de la perte de contact et des paroles de Scott que quand la porte se referma dans un claquement définitif, laissant l'appartement un peu plus silencieux et vide. Machinalement, il tendit la main pour rencontrer la fourrure gris bleutée, sentant sous ses doigts le doux frémissement d'un ronronnement délicat tout juste audible.
Le départ rapide du musicien le laissait entre deux états d'esprit. D'une part un soulagement quasi palpable de ne pas avoir à mettre à la porte Scott manu militari, comme il avait fini par le croire en le retrouvant quasiment installé chez lui – il avait déjà un chat, nul besoin d'en adopter un deuxième, au pedigree plus que douteux qui plus est. L'autre sentiment, totalement contradictoire, était une espèce de vexation à ce départ rapide, comme s'il n'avait plus rien d'intéressant à donner et ne méritait même plus un au revoir. Certes pratique, mais tout de même un peu vexant.

Au final, le médecin choisit la solution la plus évidente et qu'il utilisait le plus souvent face à l'intégralité des gens qu'il fréquentait : s'en taper comme de sa première chemise et prendre la présence du jeune homme pour ce qu'elle avait été : un coup rapide et bien agréable malgré sa petite brèche dans son intimité. De là à retourner le voir précisément, il ne fallait peut-être pas pousser mémé dans les orties non plus.

Dans un saut souple, Loki atterrit sur son abdomen où il s'installa en boule, les vibrations de ses ronronnements venant bientôt chatouiller sa peau dans une mélodie connue et rassurante. Le médecin leva la main et l'enfouit dans le pelage gris bleuté, choisissant de s'offrir le luxe de partir pour une petite sieste au soleil pour quelques dizaines de minutes . Loki serait le premier à le réveiller à son heure.

« Tu es à nouveau le maître dans la demeure mon beau. »

Bilan du passage de Scott : un Dr Barton un peu plus détendu mais qui le serait à nouveau moins quand il reverrait son reflet et ses marques dans le cou dans le miroir de la salle de bain, quelques taches sur le canapé qui ne résisteraient pas à un nettoyage en règle, un carnet à dessins et un boxer qui allaient finir oubliés dans un coin du bureau pour une visite agréable mais vite reléguée dans les annales. Le destin de tout plan cul bien mené.