Il était tard, et j'étais encore dans mon petit studios étroit, éclairée par la faible lumière grésillant de l'ampoule du plafonnier qui pendait d'un fil raccrochée au dessus-du vide. J'étais entrain de peindre une toile, c'était un ciel d'orage soufflé par le vent et les nuages noirs s'étirant comme un voile opaque de fumée sur la nuit, au-dessus de la mer bleutée qui reflétait la lumière des éclairs s'enfonçant entre l'écume blanche. Je jetai un coup d'œil à la pendule au-dessus de l'évier, réflexe idiot, je travaillais pas ce soir, c'était mon jour, enfin plutôt ma nuit, de repos. Je n'avais rien prévue, j'avais envie d'être au calme, et seule, ça n'allait pas fort en ce moment. Je passais ma main sur mon épaule douloureuse et poussai un soupire. J'avais encore du faire un tour à l'hôpital cette semaine, quelques points de suture au-dessus de l'arcade sourcilière droite, d'habitude il ne me laissait pas de marques au visage. Je pourrais être renvoyée si il me défigurait, j'espérais que ce n'était pas ce qu'il avait en tête, il savait très bien que je me retrouverais à la rue, je pourrais pas payer le loyer, et je retrouverais pas de boulot. Je repensais à ma rencontre de l'autre jours, avec Neela, on avait pas mal parlé, elle m'avait donné des conseils, je savais que c'était la meilleure chose à faire, mais j'osais pas, j'avais trop peur d'aller voir la police, et puis j'avais peur aussi qu'ils me croient pas. Mais je savais aussi que l'hôpital n'allait pas rester encore longtemps sans rien faire, j'avais du insister, mentir comme une arracheuse de dent, à chaque fois, pour qu'ils n'appellent pas les flics. Mais il y avait Jack, il savait ce qu'il passait, il savait pourquoi j'étais là, à chaque fois qu'il me voyait dans les couloirs de l'hôpital. Lui aussi il voulait que je prévienne la police. Peut-être que si je lui demandai de venir avec moi... Non.

Comme j'étais seule, je me permis de pleurer un peu, exténuée et effrayée par ma vie. C'était pour ça aussi que des fois je m'enfermais seule, pour pouvoir laisser libre cours à mes vrais sentiments, à ma tristesse, à toutes ces choses noires en moi. Ne seraient-ce pas les signes d'une nouvelle déprime ? * Reprends-toi… *. Je fermai les yeux et soufflai, essayant de ne pas me laisser déborder par mes émotions. Je pris une grande inspiration et essuyai les larmes sur mes jours et mes yeux et…

- Oh non… quelle idiote…

J'eu un petit grognement d'agacement, avant de rire doucement. Je reposai le pinceau sur la palette et me dirigeai vers la salle de bain, pour regarder mon visage tout bleu. Et oui, de mes mains à mes joues la peinture n'avait pas eu à faire beaucoup de chemin, surtout si je lui facilitai la tâche. Je soufflai et entrepris d'enlever la peinture de mon visage et de mes paumes. Ca ne parti pas facilement, il m'en restait encore un peu ici et là, mais ce n'était pas grave, il n'y avait que moi pour les voir. Je retournai à ma peinture, mais à vrai dire je me sentais lassée, je nettoyais donc mes pinceaux et mis la toile dans un coin en attendant qu'elle sèche. * Il faut pas se laisser aller… * Oui mais bon après une semaine à bosser tout le temps, à danser la nuit, répéter le jour, devoir se faire draguer par des porcs… Enfin j'avais connue pire en matière de porcs. Quoique cette semaine n'avait pas été vraiment bonne à ce niveau là. J'avais fini par devoir céder à Rodrigue, c'était il y a deux soirs, il avait déjà pu obtenir pas mal de choses de moi, à force de menaces et de coups, mais cette fois… Il était arrivé à son but, me posséder, quand je rangeais les costumes dans la loge, et il m'avait surprise, et attrapée par derrière, il ne m'avait pas laissée le choix, il m'avait forcé, et je ne pouvais rien faire contre lui… Je secouai la tête, de nouvelles larmes glissantes de mes yeux. Je voulais pas penser à ça, pas penser à lui. Je m'adossais au mur et me laissait glisser contre la pierre froide, qu'est-ce qu'il faisait froid ici, et sombre… Je fermai les paupières, prenant ma tête entre mes mains. Qu'est-ce que j'étais au juste ? Quel genre de chose j'étais devenue ? J'arrêtai pas de dire, que tout était différent, que c'était fini maintenant, les hommes continuaient à passer sur moi, moins souvent certes, mais ça arrivait toujours, et moi si j'allais à la police dire qu'on m'avait violé, on me rirait au nez. Elles sont consentantes n'est-ce pas les prostituées… J'avais tiré un trait sur le passé, mais les hommes n'avaient pas cessé pour autant de rêver de mon corps. Je savais pas ce que je devais faire, pourtant, j'avais déjà fait beaucoup de choses, tellement d'efforts, en quatre ans, pour remonter la pente. Mais qu'est-ce que j'étais maintenant ? Une danseuse qui se faisait battre par son ex, vivait dans un taudis, et était abusée par son supérieur, parce que c'était ça, ou la rue, et la rue… J'avais l'impression que j'y arriverai pas, que le truc en moi, qui me faisait vivre, mon cœur, qu'il était complètement fichu. Que quelque chose avait décidé que je serais le jouet des autres dans la vie, et que je finirai toujours par y revenir, que j'aurais jamais le choix… Tanya m'avait dit de prendre les commandes de ma vie, de pu me laisser toucher par qui que ce soit, c'est ce que j'avais fait, j'avais dit plus jamais, et… On m'avait pas laissé le choix. Encore une fois.

On frappa plusieurs fois à la porte, je sursautais soudain en me recroquevillant contre le mur. Qui est-ce que ça pouvait bien être ? Je regardai l'horloge, il était 23 heures passées… Ca ne pouvait qu'être qu'une seule personne pour venir me voir à cette heure là… Espérant que malgré tout ce qu'il m'avait fait, je lui ouvrirais ma porte… Derek. Je commençai à paniquer, effrayée, respirant vite et mal. De nouveaux coups rapides toquèrent à la porte. Je savais pu quoi faire, si je lui ouvrais, il allait me faire du mal, mais il serait bien capable d'attendre sur le palier jusqu'à que je sorte, et il serait tellement furieux qu'il… qu'il… Il pourrait même défoncer la porte… Je pris une inspiration et essaya de me relever, mon corps tremblait, je me dirigeais titubante jusqu'à la porte, essuyant mon visage avec mes manches, et si c'était pas lui ? Qui d'autres ? Je regardai par le trou de la porte mes yeux s'écarquillèrent de surprise, et mon visage changea immédiatement d'expression, passant de la peur à l'inquiétude. J'ouvris la porte à mon amie dont l'expression m'affolait tout autant qu'elle avait l'air morte de peur.

- Lilwenn ? Qu'est-ce qui se passe ? Y a quelque chose qui va pas ? Viens entre…

Ma voix était douce, bien qu'un peu stressée, mais tendre pour essayait de l'apaiser, je voulais lui prendre la main pour la faire entrer, elle avait l'air en état de choc, mais je craignais que mon contact lui fasse peur.