Oui, il savait qu'il devait participer à cette exposition. Il n'avait juste pas été motivé avant une date assez limite, voilà tout. Raison pour laquelle le jeune homme avait encore les avants bras tachés de peinture.
Il n'avait pas dormi de la nuit et but son dernier café 30mn avant, il était surexcité et savait qu'il allait s’effondrer dès qu'il s'arrêterait de bouger. Aussi affichait il une attitude enjouée de pile électrique, s'agitant inutilement mais avec plaisir, se rendant utile aussi parfois. Il aimait l'ambiance des expositions, insouciant parmi les stressés, même si parfois il était un peu agacé par ceux qui se prenaient un peu trop au sérieux. Mais il savait que les même personnage le trouvaient lui même trop hautain, donc ils étaient quittes.

« Scott, arrête de faire l'idiot et aide moi à porter ça s'il te plait ! »

Le jeune homme se retourna aussitôt avec un grand sourire vers Fiona, retrouvant l'équilibre alors qu'il se tenait sur un pied. Le terme d'amie aurait été un peu trop avancé pour décrire Fiona, mais elle faisait partie des personnes qui arrivaient à le supporter tout en éprouvant une certaine sympathie à son égard, ce qui était au final la plus proche définition d'un ami chez Scott, sortit de son comparse Mickael et de sa colocataire. Et comme il appréciait sa compagnie pour une raison qui lui échappait encore – c'est à dire, sortit de son don pour faire de délicieux milk shake – il lui traînait facilement dans les pattes / sur son lit / a son bureau au choix.

Chantonnant, il aida la jeune fille à transporter l'encombrant mobile jusqu'à sa destination, avant de suivre Fiona pour la suite des événements, avant que celle-ci n’aperçoive sa grande sœur et presse le pas dans sa direction, ravie de sa présence. La tête tournée vers une œuvre qui avait capté son regard, Scott ne percuta qu'à retardement le départ de sa guide et se précipita à petites foulées pour la rejoindre avant de déraper, juste à temps pour entendre une voix désormais familière définir l'une de ses peintures en des termes acides.



La grande sœur de Fiona fit les présentations avec l'air de se régaler de la situation, tandis que le regard de Scott croisait celui de Dorian. Tiens, voilà qui n'était pas prévu. A quand remontait leur dernière rencontre, une dizaine de jours ? Il était venu chez lui à l'improviste, après avoir été visité une connaissance qui n'habitait pas très loin de chez lui, et une boite de thon acheté plus tard, il était venu demander une pizza et un câlin. Échange de bon procédés.

Il appréciait suffisamment Dorian pour ne pas avoir envie de le mettre en porte à faux, mais inutile de prétendre ne pas se connaître. Il se passa la main dans les cheveux, cherchant à s'éclaircir les idées.

« Ravis de voir que ma peinture déclenche de tels sentiments chez vous Dr Barton... Toutes les peintures ne sont pas faites pour être exposées dans un salon. »

Quelque part, il était un peu déçu que Dorian n’apprécie pas plus que ça. C'était nouveau ça, depuis quand il se souciait de ce que les autres pensaient de ce qu'il faisait ? Et c'était mieux qu'il dise ce qu'il pense plutôt que de chercher à le flatter. Enfin, même en face à face, il aurait certainement tenu le même discours. Cette pensée le fit sourire. Et puis il avait raison. Il avait eut envie de faire quelque chose de lugubre lorsqu'il avait peint cette toile gigantesque sur laquelle il était même tombé une fois, étalant une large trace noire qu'il avait retravaillé à la volée.

« Et toi Lindsay, t'apprécie mon travail ? Tu vas m'acheter une des toiles à vendre ? C'est donné ! »

S'exclama t'il avec plus d’énergie qu'il n'en avait vraiment, tournant son regard creusé par les nuits écourtée vers elle, tout sourire. Voila qui devrait laisser le temps à Dorian de se refaire une expression, si tant est qu'il est été déstabilisé. Il n'en avait pas vraiment l'air.

Bien évidemment, le prix indiqué sous le tableau était loin du « donné ». Quelque part, les prix dans ce genre d'exposition faisaient office à eux tout seul d’œuvre à coté de l’œuvre, d'indication purement virtuelle comme si quelqu'un, un jour quelque part, aurait envie de dépenser 500 livres dans la toile d'une étudiant sans renommé. Car ce qui fait la beauté d'une toile, c'est bien la renommée de l'artiste n'est-ce pas ?

Scott haussa les épaules à la réponse de Lindsay, comme si ce qu'elle évoquait n'était qu'un détail peu important. Les mains dans les poches, il considéra d'un œil pensif ses travaux exposés, tandis que la jeune femme s’enquerrait de la nature de leur relation. Ça évidemment, les filles, le mode commère était toujours actif, d'ailleurs Fiona allait certainement s'en donner à cœur joie elle aussi après... Dorian le regarda de manière peu aimable, s'attirant un grand sourire niais pour toute réponse. Quoi, il voulait quoi de plus ? Il lui laissait déjà toute latitude pour dire ce qu'il voulait, il allait pas se plaindre non plus ? Muet comme une carpe, il fit mine de ne prêter qu'une attention très réduite à la question jusqu'à ce que Dorian ne desserre les dents pour lâcher un morceau de vérité qui fut accueilli avec suspicion par la jeune femme.

« Hein, pourquoi, il est pas vraiment docteur ? Tu m'a menti ?! »

Le jeune homme ricana au regard noir qui lui fut adressé en retour, et se tourna vers Lindsay, peu dérangé par la situation.

« Le monde est décidément bien petit. »

Fiona pris sur elle de diriger la suite de la visite, cherchant à les diriger vers les autres œuvres exposées par Scott. Celui-ci semblait fort peu concerné et ballait ouvertement, au grand agacement - matiné d'amusement – de sa comparse.

« Bon sang si tu n'es pas motivé par ce que tu montre c'est sur que tu ne va rien vendre ! »

« C'est pas comme si j'en avais besoin... »

Lindsay connaissait donc Dorian... C'était assez étrange, il n'aurait pas fait le rapprochement de lui même, même en sachant qu'elle était également du milieu médical. Bosser dans le même hôpital ne signifiait pas forcement se connaître, d'ailleurs il ne savait même pas dans quel hôpital Dorian travaillait. Il connaissait son adresse, c'était bien suffisant.

Se balançant légèrement d'avant en arrière sur ses talons, il regarda Dorian du coin de l’œil tandis que Fiona expliquait son point de vue à sa sœur devant l'une de ses peintures.

Scott éclata de rire. Sérieusement, à quoi s'était attendu Lindsay ? Il connaissait déjà suffisamment Dorian pour savoir que ce comportement était le seul qu'il pourrait afficher dans ce genre de lieu. Si au moins elle l'avait emmené dans une exposition de maître, mais non, une exposition étudiante... Un peu trop pour le maître du cynisme. Ses commentaires ne l'avaient pas vraiment blessé, plutôt amusé, tout comme le sketch que lui offraient désormais les 2 collègues. Pris par une inspiration subite, il attrapa Dorian par la manche de sa chemise, l’entraînant dans son sillage.

« Viens, je connais un truc qui devrait te plaire. »

Plantant momentanément collègue et grande sœur sur place, il traîna Dorian à travers la foule d'étudiants, certains le regardant de travers en pensant – à raison vu sous un certain angle – que le gay flamboyant s'était trouvé une nouvelle proie. Ne prêtant pas plus d'attention aux personnes alentours que s'il s'était trouvé seul dans l'exposition, Scott amena Dorian à une exposition simple et lumineuses de grands dessins qui semblaient être de simples dessins de nu au 1er abord, avant que l'on réalise que bien souvent, plusieurs parties du dessin laissaient transparaître l'anatomie des muscles et des os de manière rigoureuse, en faisant des dessins moitié dessin de nu moitié écorché. Le tout dessiné de manière rigoureusement juste. Scott ne connaissait pas vraiment la personne qui avait fait ces dessins. Il les avait aperçu quelques jours auparavant et s'y était intéressé parce qu'ils lui rappelaient ceux de Dorian.

« Faut il que tu apprécie Lindsay pour avoir accepté de venir ici. »

Commenta t'il distraitement en se frottant un œil. Il commençait à rêver d'un canapé ou de n'importe quel surface plane qui lui permettrait de s'endormir immédiatement dessus. Lui aussi était curieux sur les relations qu'entretenait le médecin avec la jeune femme. Ou tout simplement, telle qu'il la connaissait, avec sa volonté capable de déplacer des montagnes, elle avait réussi à persuader l'homme de se déplacer jusqu'ici.

« Enfin ça aurait put être pire, comme l'exposition spécial art abstrait »

Grand sourire et rabattage de cheveux en arrière pour s'éclaircir la vue suivirent.

Silencieux mais néanmoins intéressé comme en témoignait les expressions de son visage, Dorian examina quelques instants les dessins exposés, tandis que Scott lui examinait son profil et les expressions adorables qui le traversaient. Et cette manière de s'humecter la lèvre... Argh, c'était pas le moment de penser à ça tiens.
… Enfin non le vrai problème était que les toilettes du salon avaient des cloisons beaucoup trop fines. Et n'étaient pas très propre. Et son appart un peu loin à son goût. Diantre, que la vie était difficile parfois.

Dorian lâcha un éclat de rire, se montrant plus acide que jamais. Pour compenser la faiblesse dont il avait fait preuve la dernière fois ? Ou peut-être était-ce le comportement du Dorian dans son milieu presque naturel. Il n'osait pas imaginer ce que ça donnait à l’hôpital. Tout le monde devait l'adorer.

« Je ne connais pas encore ton n° de téléphone »

Répliqua t'il avec un petit air contrit, rabattant les oreilles en arrière. Il haussa les épaules à la remarque. Il existait des œuvres faites à partir de compression totalement saisissantes. Et ce sans mauvaise foi.

« Il y a des choses intéressantes partout, il suffit de les voir. »

Il bailla, avant de poser son front sur l'épaule de Dorian, fermant les yeux un instant.

« C'est gentil, elle te fait prendre l'air. C'est mieux que de te morfondre sur tes erreurs ou de te bourrer la gueule pour les oublier. »

Il parlait à voix basse, se souciant peu des regards qui étaient lancés par certains étudiants alentours, comptant les secondes avant que Dorian ne le rejette d'un coup d'épaule.

Sans surprise, il se sentit repoussé, mais avec plus de douceur qu'il ne l'aurait cru. La raison évoqué le fit rire doucement, tandis qu'il songeait à tous les endroits ou il avait justement laissé une trace. Nul doute que Dorian pensait de même. Nul besoin de le dire à voix haute.

Dorian s'écarta vivement suite à ses propos, et Scott afficha une expression contrite, surpris de la réaction de Dorian qu'il n'avait pas voulu blesser. Il ne pensait pas le toucher avec ces mots la, ça tenait plus de la plaisanterie, et puis... Il était fasciné par les sentiments douloureux qui émanaient du médecin. Dorian voyait et ressentait des choses que lui même ne pouvait pas imaginer. Il avait vécu protégé de la plupart des tracas de la vie, et voir cette souffrance de manière aussi flagrante le fascinait. C'était une des raisons pour laquelle Dorian retenait si longtemps son attention. Il n'aurait certainement pas aimé le savoir.

Mais après la fascination venait l'empathie, et il se sentait quelque peu gêné de le voir réagir ainsi. Il se passa la main dans les cheveux, s'humectant les lèvres. Quiconque connaissait Scott savait qu'il était rare de le voir chercher ainsi ses mots avant de parler. Preuve de considération s'il en était besoin.

« Je pense que tu a juste besoin baiser, comme tout le monde. Après le reste... Ceux qui passent leur soirée avec une bouteille de vodka ne doivent pas tenir longtemps dans le milieu j'imagine ? »

Il n'aimait pas trop y réfléchir, mais imaginer ce que ressentait Dorian l'y forçait bien. Mais il n'aimait pas spéculer sur ce qu'il ne connaissait pas, pas plus que de s'engager émotionnellement. Mais c'était étrange, cet homme la l'attirait comme un aimant.

Il avait une vague envie de s’excuser sur le bout de la langue, mais ça ne sortait pas. C'était trop sincère, trop humble. Finalement, c'était tout de même vraiment étrange de se retrouver à parler avec Dorian dans un endroit tel que celui-ci. Son corps s'exprimait à sa place et il avait du mal à se retenir de venir se coller à lui. Bon, les toilettes étaient hors de propos, alors il restait quoi ? Sinon il pouvait aussi lui rouler un patin devant sa collègue de travail, mais son petit doigt lui disait qu'il n'apprécierait certainement pas. D'ailleurs, pourquoi n'était elle toujours pas revenue, elle et sa sœur ? Un regard en coin lui appris qu'ils étaient scrupuleusement observés. Tout ce qu'ils feront pourra être retenu contre eux. Un truc du genre. Mais bon, lui ça ne le dérangeait pas vraiment...

Sans surprise, Dorian se saisi de la perche tendu avec un sourire carnassier et entrepris de pietinner les propos et l'amour propre de Scott en un coup de talon. Enfin, l'amour propre de n'importe quel autre personne sauf Scott, qui semblait parfois un peu trop déconnecté de notre monde pour se sentir rabaissé par un quelconque commentaire.

Sans un commentaire supplémentaire, Dorian tourna soudainement les talons pour sortir aussi vite que possible de l'exposition, plantant la un Scott surpris par ce revirement d'attitude. Il n'aurait pas imaginé le Dr Barton du genre à fuir. Ou alors c'était pour la sécurité des gens autour de lui ? Il n'eut pas le temps d'approfondir cette intéressante question qu'une prise fine mais nerveuse l'attrapait par le bras.

« Mais qu'est-ce que tu attend pour le rattraper ?! »

« Hein ? »

Il n'eut pas le temps de réagir que Lindsay le poussait vers l’extérieur, soutenue dans l'entreprise par Fiona qui semblait elle aussi fort enthousiaste à cette idée.

« Je n'ai jamais vu Dorian parler plus de 5 mn à quelqu'un sans le mettre en rage, alors tu a intérêt de continuer les efforts ! »

« Pardon ?! »

Scott voulait bien passer pour beaucoup de choses – prostitué par exemple – mais l'idée d'être étiqueté anxiolytique sur pattes n'était pas vraiment pour lui plaire. Dorian avait raison, cette femme était une garce. Et Fiona en était une aussi d'être de son coté.

Le jeune homme fut propulsé à travers les portes vitrées plutôt qu'il ne le traversa de son plein grès, et se heurta à l'épaule de Dorian, retrouvant in extremis son équilibre tandis que les 2 sœurs surveillaient la scène avec une discrétion disons honorable.

Vous voyez la tête que fait un chat lorsque, étant tombé d'un muret ou il se chauffait au soleil, il a fini par tomber au sol sans le vouloir mais prendre pourtant aussitôt l'allure de celui qui avait parfaitement prévu d'agir ainsi même si personne n'était dupe ? Voila, l'attitude de Scott ressemblait à quelque chose dans ce genre la.

« … Ah, ça fait du bien un peu d'air frais, t'as raison ! »

Il fouilla dans la poche de sa veste, en tirant un paquet de cigarette à moitié écrasé à l’intérieur duquel quelques cigarettes se trouvaient néanmoins quasi intacte, et en pris une entre ses lèvres avant d'en proposer une à Dorian d'un geste de la main.

Dorian le regarda d'une manière qui laissait bien comprendre qu'il n'était pas dupe, mais ne lui en voulait pas non plus, retrouvant son comportement habituel après un commentaire on ne peut plus pratique. Avec une petite moue dubitative, Scott tira sur sa cigarette, laissant la nicotine remplir ses poumons. Il n'était pas gros fumeur, mais difficile de rester blanc comme neige dans un environnement artsy. Au moins n'avait-il pas succombé au joint du soir si cher à certain de ses compatriotes. Il préférait avoir l'esprit clair pour faire ses affaires. Enfin, si clair était le terme que l'on pouvait employer pour designer les transes artistiques auquel le jeune homme accédait parfois.

« Je la comprendrais mieux si elle essayait de sortir avec toi. La... Je sais même pas ce qu'elle essaye de faire. »

Il rendit son regard à Dorian lorsque celui-ci l'observa un instant sans ses lunettes de soleil, lui répondant d'un sourire tranquille. Le médecin avait-il vraiment envie de le voir partir ? Pour sa part, ça ne le dérangeait pas d'être avec lui en cet instant. Même s'il était rare qu'il soit dérangé par la présence de quelqu'un. Les tensions et les haines, c'était fatigant. Autant ignorer ce genre de choses.

« Et si je te roule un patin, elle va faire quoi, un arrêt cardiaque ? S'aurait été un mec j'aurais dit avec la trique, mais une nana... Enfin, il paraît que les nana aussi, à leur manière... »

Il s'arrêta, comme s'il venait de parler de quelque chose de franchement dégouttant que quand même, y'avait des limites à ne pas dépasser. Derrière eux, le va et vient des passants aux allures variées signalant clairement leur appartenance proche ou lointaine à l'école d'art continuait son paisible flot, certains s'arrêtant sur le bord du trottoir pour échanger quelques mots ou des cartes de visites. Il aurait du être en train de faire de même lui aussi. Ce genre d'exposition servait à ça : Se faire remarquer, vendre peut-être un truc ou 2 mais surtout, se faire des contacts et plaire. Il ne se sentait pas vraiment la motivation pour ça, la maintenant tout de suite.

Scott répéta les termes employés, franchement amusé.

« L'éminence grise, ah ah... Et toi le super vilain qui agit à la vue de tous ? Ça vous va bien. »

Son imagination un peu trop fertile visualisait très bien Dorian en médecin démoniaque la nuit et Lindsay derrière qui ricanait dans les flammes. Il termina sa cigarette, dont il fit tomber la cendre du filtre d'un geste habitué avant de laisser tomber le mégot dans une poubelle publique située à 2 pas. Il s'étira, son tee shirt se soulevant pour laisser voir un morceau de peau, avant de se relâcher.

« Y'a un bar sympa 2 rues plus bas, si tu cherche un endroit ou te poser. »

Déclara t'il en guise de salut. Dorian ne faisait rien pour le retenir, il n'allait pas rester accroché à ses baskets en attendant qu'il lui témoigne de l'attention. Il était intéressé par ce type c'était un fait, mais il avait aussi beaucoup trop de fierté étrangement placée pour jouer les midinettes. Et pour tout dire, en cet instant, il souhaitait essentiellement trouver un coin ou dormir. L'arrière de la voiture de Fiona tiens. C'était une vieille caisse qui sentait l’acrylique et la colle, mais en cet instant, l'idée même de pouvoir s'allonger sur cette banquette usée lui semblait être le plus beau des nirvana.

Il se détourna pour regagner l'exposition, adressant à Dorian un regard en coin et un sourire qui laissait bien comprendre qu'il ne se serait pas gêné pour se montrer plus entreprenant mais qu'il avait suffisamment d'estime pour le médecin pour ne pas vouloir le mettre mal à l'aise face à une femme dont il admettait désormais la dangerosité.

De ce que racontait Dorian de son travail, Scott ne voulait pas savoir ce qui était vrai ou faux. A côtoyer le médecin, il se rendait compte que son désintérêt pour le milieu médical tenait plus d'une certaine phobie. Il n'avait jamais mis les pieds dans un hôpital sortit des quelques opérations de sa tendre enfance qui l'avait condamné à manger de la glace pendant des jours et ne souhaitait pas réitérer l’expérience. Ce que faisait Dorian était aussi fascinant qu'effrayant. Un rappel bien trop terre à terre de la fragilité de l'être humain. Il y avait désormais longtemps qu'il ne se croyait plus invincible, mais il continuait à en maintenir l'illusion.

Un contact sur son poignet le retint, et il tourna un visage surpris vers le médecin. Le ton radoucis, un joli sourire sur le visage, il lui fit une proposition qu'il se désespérait d'entendre.

« Pendant un instant j'ai vraiment cru que tu allais me laisser filer »

Ses doigts frôlèrent ceux de Dorian dans un contact étrangement intime alors qu'il le relâchait. Étrange d'être ainsi ému par un contact physique alors qu'il avait déjà exploré tous les parties de son corps. Il aurait tout le temps d'y réfléchir plus tard. Il lança un baiser aux 2 filles médusées derrière la vitre avant de se retourner dans un sautillement de midinette pour descendre le long de la rue en compagnie de Dorian.

Le bar, ou plutôt, le pub, était un endroit effectivement sympathique à l'ambiance agréable. Certains jouaient aux cartes, d'autres aux billards, tandis que d'autres écoutaient la diffusion d'un match de foot accoudé au bar, les yeux rivés sur la télévision. Le « King's Arms » était une enseigne accueillante et à la population hétéroclites, ou les jeunes côtoyaient les vieux dans une surprenante bonne entente.

Après avoir pris et réceptionné leurs commandes au comptoir – Un pinte de bière rempli de café pour Scott, la demande avait surpris mais le barman s'était finalement exécuté – ils s'installèrent dans un coin un peu à l'écart, d’où ils pouvaient regarder les autres sans trop être vus. Le jeune homme but directement dans sa pinte, négligeant la tasse à café long que le barman avait eut la délicatesse de proposer avec. La caféine rinça ses neurones fatiguées, leur offrant une énergie nouvelle mais volatile. Le jeune homme se passa la main dans les cheveux, l'air un peu hagard.

« … Fiona va m'en vouloir de sécher encore une fois une exposition... Bah, je dirais que c'est de la faute de sa sœur. »

Un sourire mutin appuya ses propos tandis qu'il regardait dans le vague.

Du coin de l’œil, Scott regarda Dorian sucrer abondamment son café avant de le touiller tout en regardant autour de lui. Il avait déjà remarqué son penchant pour le sucre, mais n'aurais jamais imaginé que ce fut à ce point la. Le nez dans sa pinte de café, ses cheveux ébouriffés lui donnant l'air d'un ado au saut du lit, Scott haussa les épaules avec désinvolture à la question du médecin.

« Moi, je veux juste peindre »

Déclara t'il comme si tout était ainsi dit. Il aimait le goût du café autant que son effet, et regretta un instant de ne pas s'être installé sur la terrasse pour fumer en même temps. Mais il se sentait déjà l'esprit un peu plus clair, et sentait venir la surexcitation typique qui alterne avec les phases de somnolences suite aux nuits blanches. Il n'y avait pas que son esprit, son estomac aussi, qui était régulièrement douloureux dernièrement, semblait se satisfaire de l'apport de café et cessait de l'ennuyer.

Semblant se parler plus à lui même qu'à son interlocuteur, Dorian sembla s'amuser de ce qui serait le comportement futur de Lindsay. La grande sœur de Fiona... C'était quand même marrant comme coïncidence. Après, Saint James était un grand hôpital bien sur, mais... Justement, y bosser ne signifiait pas forcement se connaître. Mais la, même service, et apparemment une relation plutôt amusante entre les 2 spécimens.

« Quand tu en parles, ça a vraiment l'air d'un champ de bataille »

Il rit doucement, reposant sa pinte à plat sur la table, laissant ses mains sur le récipient chaud. Il ne faisait pourtant pas froid, mais ce n'était pas désagréable. Il croisa les jambes sous sa chaise, ses semelles glissant agréablement sur le parquet usé et patiné par le temps.

« Comment tu en es arrivé à bosser dans ce genre de domaine ? Un jour tu t'es réveillé avec l'illumination, ou tu souhaitais pouvoir faire souffrir légalement les gens ? »

Tiens, le sarcasme de Dorian semblait le contaminer. Il avait étudié ça en sociologie : En communauté, un individu adopte le ton, les attitudes, de la personne qui lui plaît, pour se faire mieux accepter. Ce qui fonctionne généralement. Son inconscient semblait très au clair avec lui même dites donc.

Il y avait autre chose encore : Dorian lui parlait. A demi mot, ou forcé, mais il ne le considérait pas comme beaucoup le considéraient à la fac. Entre ceux qui n'osaient pas lui adresser la parole sous prétexte de « son génie » et ceux qui le snobaient car il aurait une attitude suffisante... Ça ne faisait pas beaucoup de monde pour rester à parler avec lui. Pour parler réellement avec lui. Car sortit des attitudes révérencieuses et offusquées, il y avait toutes ces connaissances superficielles auprès desquels il s'amusait à voleter comme un papillon de nuit auprès d'une lumière, sans toutefois s'approcher jamais assez pour créer de véritables liens.

Étrange, il ne se sentait pourtant pas seul. Il y avait quelques personnes avec qui il se sentait plus ou moins lié. Il était bien, lorsqu'il pouvait peindre autant qu'il voulait. Alors, pourquoi ces constations ? Il devait finalement être plus fatigué qu'il ne voulait l'admettre.

Le regard et le ton adopté par le médecin poussèrent Scott à plus de sérieux, si ce n'est de considération pour ses propos, pour un instant. Dorian semblait chercher ses mots, répondant avec grand sérieux à sa question sans chercher à s'y dérober. Il avait presque l'impression qu'il avait quelque difficulté à en trouver la réponse. Un sourire ironique suivit ses propos, l'homme s'attendant visiblement à un mouvement de rejet de sa part.

"Je trouve ça assez sain au contraire, tu satisfais des envie de contrôle tout en rendant service à ton prochain. Ca me donnerait presque envie d'essayer. Enfin, si la vue du sang me rendait pas malade. D'ailleurs, t'aurait put faire chirurgien aussi dans la même idée non ?"

Dans le petit monde des artistes, on était à la fois très ouvert et très fermé d'esprit. Mais dans les grandes lignes, on acceptait beaucoup de choses des autres. Tout ce qui n'était pas socialement acceptable était fondamentalement cool. Les propos de Dorian en étaient un bel exemple. Et puis, outre le fait que le discours humaniste et passionné de vouloir sauver son prochain ne lui serait pas très bien allé, il aurait mis Scott mal à l'aise plus que toute autre chose. Parce que les hôpitaux, la médecine... Il n'avait pas forcement envie de savoir ce qui se passait dans la tête de ces soignants qui se donnaient cœur et âme à leur travail qui n'était alors plus un travail mais une véritable mission qui les portait nuit et jour. Et ceux qui devenaient soignants, qui pouvaient alors connaitre le fonctionnement et les limites précises de leurs propres corps, qui en comprenaient chaque signal, et qui chaque jour voyait la maladie et la mort chez leur patient... Une bien heureuse ignorance lui semblait bien plus appropriée.

"Ceux qui se vouent corps et âme à leur travail au point de vivre à travers, ça je trouve ça malsain. Enfin à la base même, le concept de soignant c'est un truc bizarre. Tu sais, genre, quand tu va voir le médecin, il te viendrais jamais à l'idée qu'il puisse être malade. Pourtant c'est un être humain comme toi. D'ailleurs je me suis toujours demandé si les médecins se soignaient eux même ou allaient voir un médecin."

S’intéresser à Dorian, c'était s’intéresser à cet univers si particulier dont il avait pourtant toujours évité de s'approcher. Subitement, le comportement de Lindsay lui sembla bien positif. Rester sans cesse plongé dans l'univers hospitalier, ça n'était vraiment pas sain. Enfin, Dorian avait l'air de bien gérer sa vie au final. Qu'il se détende dans un bar, une exposition ou chez lui... La différence étant qu'il ne l'aurait pas recroisé dans ces conditions sans ça. Ça changeait un peu du plan squatt.

Scott haussa un sourcil, concentré, mais ne saisissant pas la métaphore. Il sculptait et la différence avec la peinture ne lui apparaissait pas si flagrante. C'était juste une manière différente de procéder pour obtenir « quelque chose ». C'était peut-être pareil entre réanimateur et chirurgien, mais c'est la seconde partie de la phrase de Dorian qui l'éclaira plus sur la potentielle différence entre ces 2 corps de métiers. Le mépris qui transpirait de ses mots était presque amusant. Nul doute qu'il tenait son travail en haute estime.

Curieux, le jeune homme regarda Dorian rajouter un sucre dans son café, se demandant à quel point il l'avait sucré. Ça devait être imbuvable. Il avait bu du café sucré par le passé, mais avait bien vite succombé à l'attrait du goût fort et intense du café noir. Le comportement du médecin changea soudainement, ses propos se dirigeant dans la voie la plus opposée possible à sa propre personne, ce qui au propre comme au figuré était la personne de Scott installé confortablement devant lui. Sa langue était aussi acerbe que son café était sucré, et Scott sourit, ses yeux se plissant jusqu'à en être réduits à une fine ligne

« Oh, je suis flattée de voir mes gribouillages comparés à ce que tu fais. »

Avec une petite moue, le jeune homme caressa son pot de café déjà plus tiède maintenant qu'il était vidé de la moitié de son breuvage, et consentit à réfléchir sérieusement à la question avant de répondre. C'était la moindre des choses face à Dorian.

« Je ne vois pas le problème. Quand tu communique, tu montre tes sentiments de manière détournés à la personne en face de toi non ? C'est encore une autre manière de faire. Sauf qu'on a pas forcement besoin que quelqu'un le voit. On a juste besoin d'exprimer un trop plein... Quelque chose qui déborde... »

Son regard s'était flou tandis qu'il essayait de mettre des mots sur sa perception toute personnel de l'art et de sa pratique. C'était faux de dire qu'un artiste n'avait pas besoin que l'on voit ce qu'il fait. La plupart avaient besoin d'un retour, pour flatter leur ego, pour avoir l'impression d'avoir vraiment fait quelque chose, car sans ça, c'était comme si rien n'avait été fait. Sentiment amplifié par internet ou les dessinateurs et autres artistes tous justes flageolants sur leurs petites jambes se hâtaient de poster leurs créations, comme s'ils eussent craint que leur existence soit remise en question sans cela.

« Hum tu a raison, ça doit bien être un peu bizarre. »

Il sourit chaleureusement à l'homme face à lui .